Ours à Sinaïa, Roumanie
Partis à la recherche de la chouette de l’Oural, nous avons rencontré à Sinaïa pas moins de 12 ours dans les forêts neigeuses… Voici les notes, retrouvées dans un carnet de terrain. Rencontre avec les ours.
Carnet de terrain de Philippe J. Dubois, mars 2008 ; photos Élise Rousseau.
29 mars : Les ours… L’un des buts de notre voyage. En arrivant nous avons eu très peur. Notre hôte, Lucia Popescu nous a expliqué de but en blanc « il n’y plus d’ours à Sinaïa. Depuis l’accident de l’été dernier, les forestiers ont capturé les ours et les ont transportés dans une réserve à 60 km d’ici ». Voilà déjà un mythe qui s’effondre...
Peu après, nous avons passé la fin de journée autour de Cota 1400. En redescendant, entre chien et loup, et peu après un virage en épingle à cheveu, sous la station, nous tombons sur un ours qui s’échine sur une bouteille plastique, au pied d’un talus, sur la droite de la route ! Un ours, un vrai, à 5 m de la voiture qui se fiche complètement de nous. L’animal doit avoir 3 ou 4 ans au plus. Il présente quelques marques beige clair sur le pelage et une grosse bosse dorsale. Nous nous garons un peu en retrait pour le laisser tranquille. Quelques instants après une autre voiture se gare… devant nous et le type fait des photos avec son téléphone portable. Une 3ème voiture, montant vers Cota 1400, se gare également à 5 m de l’ours, puis klaxonne pour faire bouger l’animal qui semblait jusqu’alors se contrefiche de nous. Cette fois-ci il bouge et se retire en courant dans le bois à côté, d’autant que des personnes viennent de sortir d’une maison voisine.
Cette première observation d’un ours complètement désinhibé est frustrante mais elle nous redonne espoir. S’il y a un ours ici, il y en peut-être ailleurs…
30 mars : après être montés par un beau soleil jusqu’à Cota 2000, nous reprenons notre voiture à Cota 1400 vers 16h et redescendons. Nous retrouvons l’ours de la veille un peu plus haut, fourrageant de dos sur le bas côté. Cette fois encore nous sommes seuls et nous garons à quelque distance de lui. Seuls mais pas longtemps. Là encore, tandis que nous faisons des photos une puis 2 puis 3 voitures se garent et les conducteurs prennent des photos avec leur portable en s’approchant parfois bien près de l’animal. Celui-ci finit par s’asseoir sur son séant et nous regarde de ses yeux un peu inexpressifs.
On se croirait à Thoiry… Nous ne restons pas davantage, ce n’est pas le type d’ours que nous sommes venus chercher.
Plus bas, nous prenons alors la piste qui monte vers Poiana Strana Regala et le site de Poiana Stânei où se trouvent quelques chalets. La piste, en partie enneigée monte à travers une hêtraie-sapinière séculaire. Vers le haut, elle traverse une superbe hêtraie pure, sur la gauche. Nous nous arrêtons et cherchons le pic à dos blanc. En effet, un couple tambourine de concert, mais disparaît assez vite un peu plus haut. Tandis que nous les recherchons, Élise s’exclame « un ours devant ! ». Un peu plus haut, dans la pente un jeune ours se nourrit au sol. Tout près de lui un deuxième, du même âge. Sans doute des jeunes nés l’année dernière. L’un est brun avec une tache plus claire (beige) sur l’épaule, l’autre nettement brun, mais avec quand même cette même tache, estompée. Ils sont tout occupés à rechercher des faînes (ou du moins les cupules) dont ils semblent se nourrir. Étonnant que deux jeunes de cet âge soit seuls… Nous pensons que la mère ne doit pas être loin.
Quelques minutes plus tard nous avons la réponse : une ourse est là, près d’eux. Cachée par les fûts, elle nous avait échappé. Elle mange aussi mais régulièrement lève sa tête vers nous et nous regarde. Nous sommes à moins de 100 m d’eux, silencieux, à côté de la voiture. On observe, en retenant notre souffle ; Élise fait quelques photos et je ne cherche même plus les pics à dos blanc dont on entend encore parfois un tambourinage…
Nous laissons enfin cette famille paisible pour monter jusqu’aux chalets. Il n’y a que quelques merles à plastron et pipits spioncelles dans une prairie, aussi reprenons-nous la piste dans le sens opposé. La lumière décline. Soudain, Élise me chuchote « des ours là bas ». En effet, plusieurs formes noires se détachent dans les arbres sans feuillage, un peu en contrebas du chemin qui fait un grand lacet, mais sur le flanc montant du vallon.
Nous découvrons alors qu’il y a cette fois 3 oursons et leur mère ! Ils sont à 50 ou 60 m de nous. C’est une autre famille, à environ 200 m de la première ! Les jeunes, tous très bruns, sont du même âge que les autres (2ème année). La femelle également très brun noir, est plus grosse que l’autre et plus foncée de pelage, notamment sur la tête. Soudain, la femelle nous fixe, se redresse un peu, et nous charge sur une quinzaine de mètres ! Élise n’a pas vu le début de la charge mais a photographié un jeune qui fait un bond, et décampe, sans doute ayant entendu sa mère souffler et effrayé par la charge ! Heureusement que nous sommes dans la voiture, car, sans être couard, on reste quand même prudent face à cet animal.
Du coup, nous ne demandons pas notre reste et quittons la famille encore tout remués par la scène qui n’a duré que quelques secondes.
Le soir, après le dîner, nous décidons de remonter à Cota 1400m où Matthieu Vaslin nous a indiqué que les ours venaient se nourrir des reliefs de repas de la station qui sont mis en contrebas de cette dernière. Arrivés à la nuit, nous ne distinguons rien et il n’y a pas les poubelles dont parlait Matthieu. Mais tout à coup, nous voyons trois ours ! Des animaux déjà gros, mais sans doute pas totalement adultes. Hélas, une fois encore, une voiture arrive et s'approche. L’un des ours se retire dans la forêt, un second semble gêné par la lumière, tandis que le troisième continue à fouiller consciencieusement dans ce qui semble être des déchets. Nous ne dérangeons pas plus les animaux. Décidément les ours de la piste forestière sont plus tranquilles !
En redescendant vers Sinaïa, un renard.
31 mars : le temps est bouché, il tombe une neige fondue à Sinaïa. Il n’y a pas grand-chose à faire. Nous partons pour le nord. Après avoir rebroussé chemin sur la piste forestière d’Azouga pour cause de travaux - « drum calamiţa » (!) dit le panneau – nous poussons jusqu’à Predeal et prenons la route de Râşnov. Peu avant Pârâul Rece nous trouvons une piste forestière, assez fortement enneigée. Ici l’ours est partout. Les traces dans la neige abondent. Nous trouvons même une voie sur laquelle il y a eu au moins trois ours qui semblent avoir cheminé ensemble. Ce qui est impressionnant c’est que l’on ne voit rien mais que l'on devine sa présence en permanence…
1er avril : au sud de la ville se trouve le camping. Juste après celui-ci, une piste forestière s’élève en altitude en traversant une hêtraie-sapinière. Nous nous y promenons le matin. Ici aussi et sans neige, l’ours signe son omniprésence. Des grattis sont notés partout montrant que l’animal retourne les feuilles, creuse un peu dans le sol à la recherche sa pitance qui semble modeste. Une belle crotte assez fraîche témoigne d’un passage récent. Et puis l’odeur de « bête fauve » - qui n’est pas celle d’un renard, mais plus forte… Là encore la sensation de présence de l’animal est exacerbée par son absence.
En fin de matinée, nous retournons sur la piste de Poiana Strana Regala où nous avions vu les ourses suitées. Évidemment pas d’animaux (les ours ne semblent sortir qu’à partir de 16h-17h). En revanche, au site exact des observations, nous remarquons des traces fraîches d’ours de grande taille, manifestement tout seul. Nous suspectons alors qu’un grand mâle traîne dans le coin, ce qui a eu peut-être pour conséquence de faire déguerpir les femelles. L’animal a longuement longé la piste enneigée en descendant.
Nous revenons sur le site vers 17h tandis qu’il neige dans le but de chercher à voir l’énorme animal à qui appartiennent ces traces. Nous montons jusqu’aux prairies de Poiana sans rien voir. Puis nous abordons la descente, prudemment, car la neige tient au sol et notre micro-voiture est tout sauf adaptée au type de pistes que nous empruntons. Tout à coup, devant nous à 60m, nous distinguons une grosse masse brune, sur le bas côté gauche du chemin. Je coupe le moteur et nous regardons à la jumelle : c’est lui ! Un mâle énorme (au moins 350kg) gratte doucement le sol, sans doute à la recherche de cupules de hêtre. Il gratte avec précaution de la patte droite (parfois de la gauche) et relève fréquemment la tête et hume l’air dans toutes les directions. Il regarde parfois dans la nôtre, mais sans s’arrêter, comme s’il ne nous voyait pas. Il a une grosse bosse sur le dos, des griffes immenses. Nous restons là longuement à l’observer. Il « dérive » lentement en remontant le chemin vers nous, tout en s’enfonçant dans la forêt. Le silence est total et la neige tombe doucement, enveloppant le paysage dans une étoffe cotonneuse. Nous avons l’impression de voir un tableau de Robert Hainard prendre vie. Puis le mâle s’éclipse de façon quasi fantomatique, tout en reculant dans la pente. C’est le moment le plus fort du voyage avec sans doute, la découverte de la première femelle suitée.
2 avril : n’ayant toujours pas vu la chouette de l’Oural, nous tentons une recherche diurne. Nous empruntons la piste appelée « Calea Codrului » qui passe devant la décharge et rejoint la route de Targoviste (signalée par Matthieu Vaslin). Le temps est aujourd’hui particulièrement brouillardeux…
Nous trouvons au sol bon nombre de grattis qui sont sans nul doute le fait de l’ours. On est toujours frappé par le côté « mesuré » du travail de recherche, sans remue-ménage de la terre comme chez le sanglier. Un travail « d’épluchure » soigné, méthodique. Peut-être également un grattis sur un tronc de conifère, mais sans doute ancien, car la résine a coulé depuis. En bordure du chemin, nous trouvons un long tuyau métallique rouillé sur lequel figurent de belles empreintes boueuses d’ours. Un animal qui a joué (au sens propre) les équilibristes sur quelques mètres ! Sur le même tuyau, des traces boueuses de martre et une crotte du petit carnivore.
Le bord du chemin est très boueux, si bien que les empreintes sont multiples. Outre l’ours et la marte, nombreuses traces de canidés (chiens), mais encore plusieurs d’un animal qui doit être particulièrement gros. Il n’y a officiellement pas de loup dans le secteur, mais l’empreinte fait nettement plus de 9cm et semble fort allongée…
Nous tombons sur un couple de pics tridactyles qui inspectent consciencieusement des troncs de pins sylvestres et d’épicéas. Puis ils tambourinent de concert et se répondent, tandis qu’un des oiseaux poussent des kut, plus doux que ceux de l’épeiche.
Le soir, nous remontons à Cota 1400 pour voir si des ours fréquentent les abords de la station, mais rien : les animaux doivent venir essentiellement le week-end, lorsqu’il y a du monde. Un grognement entendu en bordure de route nous rappelle que l’Ours n’est pas loin…
Et pour protéger les ours en France, voici le lien de l’Association Pays de l’Ours-Adet :
http://www.paysdelours.com/