Expédition dans le désert de Gobi, épisode 14
Carnet de voyage d'Élise
C’est alors que Nyambayar nous révèle que l’ours a été vu hier soir !!! A 21 h ! Incroyable !
On dresse le camp quelques centaines de mètres plus loin. Une yourte en dur existe ici, pour accueillir les gardes qui viennent ravitailler les placettes pour les ours.
Nous sommes au cœur du désert.
Silence, vent, montagnes au loin où vit la panthère des neiges.
Je me sens profondément libre, loin de tout, sans email, sans téléphone, juste mon appareil photo, de quoi écrire et dessiner.
Mon corps s’est habitué à dormir sur la caillasse. Je ne sens plus le décalage horaire.
Et finalement, en ne se lavant qu’avec des lingettes, on ne sent pas le vieil ours, on reste propre. Tout me réjouit, même la basique bouffe mongole. Quand on n’a pas le choix, on prend ce qui vient. Puis pas de parasites suceurs ici, on est tranquille…
Affût philosophique à l’ours
A 20h40, nous quittons le campement et partons faire un affût à l’ours, et aux autres bestioles du Gobi. Peu importe qu’on ait presque aucune chance de voir l’ours le plus rare au monde : les paysages sont sublimes, nous affûtons l’ours de Gobi, que demander de plus ?
Qu’est-ce qui importe dans la quête ? La quête elle-même ? Ou le Graal ? Le chemin parcouru, c’est cela qui nous transforme.
Être ainsi à l’essentiel me conforte dans l’idée que nous vivons, en Occident, dans le superflu, et que ça nous tue. Nous n’avons besoin que de très peu de choses. Avoir, avoir, toujours plus… accumuler…
La Mongolie recèle des richesses dans son sous-sol. Combien de temps cela prendra-t-il, avant qu’on vienne l’éventrer, pour fabriquer nos petits gadgets ridicules, nos téléphones grotesques, nos télé obèses, nos voitures moches… ?
Les ours de Gobi et les panthères des neiges ne peuvent pas reculer plus loin, ces espèces sont déjà au plus loin du plus loin de l’homme qu’elles ont pu trouver.
Que j’aime les Mongols des steppes, capables de bourlinguer seuls dans les déserts immenses, sans téléphone satellitaire, sans GPS, capables de se débrouiller dans la nature, le sens de l’orientation ancré, intimement liés à leur environnement. Ce sont de puissants humains, ils ne sont pas abrutis et infantilisés par la société de consommation. Ils sont libres. Pourvu qu’ils le restent encore un peu. Pourvu qu’ils ne se fassent pas manger, d’une façon ou d’une autre, par les Chinois, par les Américains ou par les Russes.
Arc-en-ciel
Sublimes lumières dans le désert. C’est un affût pour la forme. On sait bien que c’est quasi impossible de voir l’ours de Gobi.
Nyambayar n’est même pas venu. Il n’y croit pas. Bien que travaillant sur l’espèce, il n’a vu l’ours que deux fois dans sa vie.
On attend, on attend… en observant la couleur des nuages qui change avec le crépuscule. Rien. Le désert est désert. Mais l’ours est passé hier soir, le piège-photo l’a vu. Seulement, il n’a rien trouvé à manger à la placette, qui n’est pas alimenté en été.
Pierre dit : « S’il a vu hier qu’il n’y avait plus rien à manger, il ne reviendra pas… »
Terbish s’endort.
Philippe, avec sa longue-vue, se casse les yeux à chercher dans tous les sens. « Putain, y’a rien de chez rien, pas même un renard, c’est désert de chez désert.
-Ça va peut-être venir », dis-je (parce que j’adore les affûts, même si on ne voit rien, et que je ne veux pas rentrer tout de suite au camp !)
Un arc-en-ciel double se forme au dessus d’une colline, magnifique.
Encore un chameau
R. nous quitte, il veut rallier le camp avant la nuit.
Devant ce vide, l’atmosphère se relâche. Pierre et Philippe bavardent. Moi j’ai envie de silence, de solitude, je m’éloigne sur la colline à côté, pour chercher dans une autre direction. Mais je ne vois rien.
Soudain Philippe me siffle. J’arrive à toute vitesse : il a repéré, au loin, un chameau sauvage ! Génial !
On le regarde tous. L’affût valait quand même le coup !
Le chameau marche vite dans le désert, solitaire, et le soir tombe de plus en plus.
« Ça devient vraiment dur, dit Philippe.
-Il est venu tard hier, il faut rester jusqu’à la nuit, dis-je, encore un peu d’espoir chevillé au corps.
-Jusqu’à la nuit ? Sûrement pas, répond Philippe, c’est un coup à se perdre. La nuit, on n’a plus les mêmes repères pour retrouver le camp. »
Il fait de plus en plus sombre…
« Je retourne sur la colline d’à côté », dis-je au groupe.
Le crépuscule tombe. Je cherche, je cherche, j’ausculte chaque caillou noir, mais je ne vois rien. Le paysage est tellement beau.
S. s’en va à son tour. Philippe me rejoint en haut de la colline.
« La lumière, ça commence à devenir vraiment difficile... », mais il continue de se casser les yeux à chercher.
J’ai envie de grappiller quelques minutes encore de ces moments magiques.
« Tu vois, lui dis-je, même si on ne voit rien, le fait même d’être ici, en plein désert de Gobi, à chercher le mythique ours de Gobi, c’est déjà magique. »
Soudain, il me coupe dans mon envolée philosophique. « Là ! Là ! J'ai quelque chose ! J'AI QUELQUE CHOSE ! »
Suite au prochain épisode...