La race bovine canadienne : le retour aux sources
Cette race de vache menacée se rencontre dans la belle province du Québec. Mais, comme beaucoup de Québécois, elle est, elle aussi, originaire de France. Pays dans lequel elle tente un retour...
Au XVIIe siècle, des Français qui s’embarquent pour le Canada et singulièrement le Québec, à Saint-Malo ou dans d’autres ports de la côte Ouest, emmènent avec eux les animaux domestiques qui leur permettront de subvenir à leurs besoins.
Parmi eux, figure un bétail originaire de Bretagne et sans doute aussi de Normandie. Ces animaux vont alors s’implanter en terre américaine avec leurs propriétaires et ne connaîtront pas beaucoup de brassage, les Canadiens français vivant en autarcie. C’est ainsi qu’au fil des siècles, va se forger ce que l’on appellera plus tard la race Canadienne.
Durant les premiers temps de son existence, cette race pousse sa corne au-delà du Québec et on la trouve ainsi jusqu’en Alberta. C’est une race laitière, mais qui est alors également utilisée au Canada pour le travail (traction).
Vache Canadienne photographiée au Canada dans les années 1930. Noter le cornage important et la tête ici assez volumineuse.
Une si jolie vache
Officiellement la Canadienne est rattachée au rameau « irlando-breton » au même titre que la Bretonne pie-noir en France ou la Kerry en Irlande. De conformation, elle possède une taille petite à moyenne, fine, bien charpentée, mais peu musclée. Les attaches sont fines. La tête est longue, la poitrine étroite, le dos droit, les hanches écartées, la queue non saillante, les cuisses peu descendues, le ventre imposant, et les membres fins mais assez courts. Elle rappelle, dans sa conformation, la race de Jersey, les races bretonnes et certaines races irlandaises et norvégiennes.
Elle possède de belles cornes longues et fines, en lyre haute, la pointe légèrement rejetée vers l’arrière ; blanches à bout noir. Cependant les animaux canadiens sont très souvent écornés. Enfin, les muqueuses sont jaune foncé.
La robe de la Canadienne est souvent noire, mais aussi brun foncé ou rouge (tirant même sur le froment vif), plus ou moins charbonnée, avec auréole jaune-brun ou grise autour du mufle. De même il existe fréquemment une ligne plus pâle sur le dos.
La Canadienne est une race vive, éveillée, très résistante aux variations de température et donc d’une grande rusticité.
Emeraude, vache de robe noire (ou très charbonnée), Ploërdut, Morbihan, 2015. Noter la ligne claire sur le dos.
Joséphine et son veau, Ille-et-Vilaine, 2016. Cette vache présente une robe froment vif, la plus claire dans la race.
Heurs et malheurs de la Canadienne
Dans son pays d’origine, la Canadienne qui est donc arrivée vers 1660-1670, domine largement le cheptel, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Elle y côtoie la race d’Ayrshire, venue d’Ecosse. A partir de 1860, on importe des races anglaises en grand nombre, si bien qu’en 1880 les pouvoirs publics sont convaincus que la Canadienne n’existe plus. Cependant une enquête menée à cette époque au Québec révèle quand même que 75 % du bétail est bien de race… Canadienne !
Cependant, de façon inexorable, les autres races prennent le pas sur la Canadienne. Si bien qu’en 1932, on considère que 80% des vaches du Québec sont de races autres que la Canadienne… On essaie de maintenir la race, et la ferme-école de Deschambault est créée pour conserver un troupeau de grande valeur.
Malheureusement, ce troupeau est décimé lors d’un incendie survenu en 1983. Dans les années 1970, on pratique une infusion de sang de la Brune (Brown Swiss américaine), mais aujourd’hui, au Québec même, un certain nombre de personnes se battent pour maintenir un noyau d’animaux de race pure.
Les choses ne vont pas bien pour la Canadienne. En 1987 la race est vraiment considérée comme en danger d’extinction, et en 1999, on considère qu’il ne reste plus qu’une centaine de femelles de la race originelle. Elle est alors reconnue « race patrimoniale du Québec », à côté du cheval canadien et de la poule Chantecler. En 2016, il ne reste guère plus de 150 vaches au Canada qui sont 100 % de race canadienne, pour un total de 1 000 vaches plus ou moins croisées…
Défilé d’animaux primés, Québec, années 1950. Du temps où la race était encore bien présente au Canada (photo fonds de la Société d’éleveurs de bovins canadiens).
Vache à robe rouge froment et extrémités charbonnées, Ille-et-Vilaine, 2016. On retrouve un peu la conformation de la Froment du Léon, dont elle partage peut-être une partie de ses origines.
Retour sur la terre des ancêtres
C’est à partir de ce moment que la France rentre de nouveau en scène.
En France, une vingtaine d’embryons sont importés, à titre privé, en 1995. Il naîtra en 1996, pour la première fois sur le sol français, trois mâles et une femelle de race Canadienne. En 1999, deux agriculteurs québécois installés en France font venir onze génisses et trois taureaux. Ainsi se crée un petit noyau de population de race Canadienne pure en France et c’est de cette façon que cette race revient sur ses terres d’origine, près de 340 années après son départ vers le Nouveau Monde !
Actuellement (2016), on compte environ 40 vaches de plus de 2 ans, principalement réparties dans l’ouest de la France, une trentaine de génisses et un peu plus de 10 taureaux, soit un total d’environ 80 animaux. Ce qui représente tout de même un pourcentage non négligeable de la population totale de la race !
Hôtesse, vache Canadienne, ayant été importée du Québec dans les années 1990, Mayenne 2006 (photo Serge Chevallier).
Champlain, superbe taureau, ayant été également importé et dont la semence est aujourd’hui conservée, Mayenne 2006 (photo Serge Chevallier).
Ce retour est également l’occasion de s’interroger sur l’origine de cette race. Nous avons déjà publié un post sur la population bovine dite Brune de Guingamp qui semble avoir survécu pendant des décennies, peut-être jusqu’au milieu du XXe siècle… Serait-ce alors sinon l’ancêtre, du moins la cousine de l’actuelle Canadienne ? Si l’on ne peut l’affirmer, les analogies entre ces deux types d’animaux sont troublantes…
Comparaison entre une vache de race Canadienne (à G, photo Laurent Avon) et des animaux de type « Brune de Guingamp » photographiés au début du XXe siècle dans le Finistère. On décèle une analogie de conformation surtout si l’on compare la Canadienne à l’animal au centre de la photo ancienne.
Quel avenir en France ?
Ainsi la Canadienne aura traversé deux fois l’Atlantique. Ce « retour » se fait dans un contexte paradoxal. D’une part, la production laitière a diminué en France. Et la course effrénée à la productivité croissante fait que la plupart des éleveurs privilégie des races à fort rendement (type Prim’Holstein). D’un autre côté, les consommateurs sont toujours plus nombreux à rechercher des produits de qualité, en circuit court. La Canadienne offre l’avantage de produire un lait de très grande qualité, très riche en taux protéique (assez proche de celui de la Jersiaise ou de la Froment du Léon) et permettre l’élaboration de produits laitiers excellents. Au Québec, il se fait même un fromage élaboré uniquement à partir de son lait. Plusieurs éleveurs se sont lancés dans l’élevage de cette race, à la fois pour valoriser son lait, mais aussi ses veaux qui sont de grande qualité.
Fromage québécois élaborée exclusivement à partir de lait de race Canadienne. Ce fromage a reçu l’appellation contrôlée en 2016 (photo La Presse.ca).
Reste peut-être le nom de « Canadienne »… Si la volonté est de permettre à cette race de grande valeur de s’ancrer à nouveau sur ses terres d’origine, le nom qu’elle porte actuellement n’est peut-être pas le meilleur pour lui permettre de se faire connaître. En effet, « Canadienne » l’estampille indissolublement de race étrangère, ce qui peut être contreproductif pour faire valoir les atouts d’une race rustique et locale. Et même si la Canadienne est la plus « française » des races américaines, il n’en demeure pas moins que son nom la dessert peut être de ce côté-là de l’Atlantique…
Il y a donc lieu de s’interroger, et nous sommes plusieurs à le faire, sur un nom qui l’assimile davantage à ses origines. Elle pourrait donc porter en France un nom comme « Brune de Guingamp » qui l’assimilerait directement à une population voisine (ou similaire). Ou encore « Brune de Bretagne », voire « Brune de l’Ouest » (même si le nom est moins original). Bref, il ne s’agit là que de pistes de réflexion, mais il est certain qu’allier un nom de terroir à des qualités intrinsèques indiscutables, le tout dans un contexte de valorisation produits locaux, donnerait à cette belle race (d’ailleurs reconnue en France en 2004) une souffle essentiel pour sa survie.
Pour en savoir plus sur la Canadienne au Québec, regardez cette vidéo.
Pour les photos, merci aux éleveurs Mickaël Romé et Aymeric Le Provost de nous avoir ouvert les portes de leurs superbes élevages.