Races bovines du nord-ouest de l’Espagne : un trésor de biodiversité domestique (Razas bovinas del noroeste de España : un tesoro de biodiversidad doméstica)
En 2017, suite à un long périple dans le nord-ouest de l’Espagne (Pays Basque, Cantabrie, Asturies et Galice, de même qu’un peu de Castille et León), à la recherche de la biodiversité domestique, voici un focus sur les races bovines rencontrées dans cette partie de l’Europe qui concentre l'une des plus grandes diversités.
Dès que l’on passe la frontière espagnole en venant de France, on rencontre, dans le Pays Basque, bon nombre de vaches de races Pirenaica et… blonde d’Aquitaine, de même que des Limousines (et tous les croisements possibles). Mais aussi des races locales !
Betizu la sauvage…
Cette race est présente dans le piémont basque mais également en Navarre toute proche. Alors que sur le versant français du Pays Basque il y en subsiste environ une centaine, quasiment sauvage, la race est ici plus « domestique », c’est-à-dire élevée dans les fermes et bouclée. Même plus ou moins confinée, la race garde son aspect farouche, sur le qui-vive et il n’est pas vraiment conseillé d’approcher une mère et son veau. Comme la plupart des races du nord-ouest espagnole (cf. ci-dessous), la Betizu est élevée pour sa viande. Cette race a toujours vécu dans des zones défavorisées, d’accès difficile. Elle y a développé une grande rusticité. Concurrencée par des races plus connues et plus productives, l’avenir de cette vache reste problématique. On compte environ un millier d’animaux en Espagne.
Terreña la sombre
Un peu plus à l’intérieur du pays Basque, se trouve cette race rustique. Longtemps utilisée pour le travail, elle n’est plus élevée aujourd’hui que pour sa viande (notamment de veau), de grande qualité. La robe est de couleur châtaigne, souvent très enfumée, donnant une impression de robe brun-noir à distance. Les cornes se relevées vers le haut. On compte un peu plus de 3 000 animaux dont plus de 2 800 femelles.
Tudanca, la « Salers » espagnole
En allant vers l’ouest, en Cantabrie, on rencontre une superbe race de montagne : la Tudanca. Par son port et son grand cornage, elle n’est pas sans rappeler la Salers française. Cependant sa robe est grise avec des nuances plus ou moins sombres, plus ou moins noisette ou bleue. Le taureau est de couleur noire. En été, on la trouve librement en montagne. C’est une race plutôt farouche. Elle est utilisée aujourd’hui pour la viande, mais les bœufs étaient autrefois très prisés pour le travail. Il y a actuellement 13 600 animaux, l’immense majorité étant en Cantabrie, le reste dans le nord-ouest de l’Espagne. Cette race connait un certain engouement, notamment chez les éleveurs néo-ruraux.
Monchina, une vache tigrée
Originaire de l’est de la Cantabrie, la Monchina est une race particulièrement bien adaptée aux terrains montagneux et difficiles de cette région. De taille moyenne, elle est élancée avec des cornes plutôt fines, longues et relevées. Sa robe est variable : surtout de couleur châtain, elle peut être parfois très enfumée et, tout au contraire, froment pâle. Mis la plus remarquable reste la robe tigrée, tout à fait originale. Comme beaucoup de ce bétail espagnol de montagne, c’est une race au caractère farouche. Elle utilisée pour la production de viande, typée et de qualité. Il y a actuellement 1 500 animaux dont 1 400 femelles. La race est stable et même plutôt en augmentation.
Pasiega la laitière
C’est sans doute la seule race vraiment laitière d’Espagne ! Cette jolie vache à la robe froment rouge avec des cornes courtes, en croissant, a cependant subi la concurrence sévère de la Frisonne puis de la Holstein, qui a entraîné une chute de ses effectifs. Ses origines sont liées au croisement de populations locales, et à une sélection à des fins laitières. On la rencontre en moyenne montagne de Cantabrie. Ses effectifs sont aujourd’hui très modestes, ne dépassant pas un peu plus de 500 femelles, dont 390 vaches adultes. Son lait est utilisé pour la fabrication de fromages artisanaux et aussi pour le beurre. Cette activité devrait connaître un accroissement, et peut-être avec elle, un renouveau d’intérêt pour cette race très particulière.
Asturiana de la montaña une cousine de l’Aubrac ?
Avançons davantage vers l’ouest et nous voici dans les Asturies. Ici, deux vaches à la robe froment sont présentes. La plus rare des deux est celle de la « montagne ». C’est une vache solide, assez trapue, à la robe froment claire et qui rappelle une par sa conformation et son cornage, la race d’Aubrac. Cependant elle appartient au tronc Cantabrique. Rustique, elle a été moins sélectionnée que sa cousine des « vallées ». Elle est aujourd’hui présente en zone de montagne et peut se trouver haut en altitude. On l’élève pour a viande, de grande qualité, tandis que c’était autrefois une race de travail. Elle est cependant moins productive que l’Asturiana de los valles, même si sa viande possède un label. On compte actuellement près de 20 000 animaux, surtout en Asturies, mais aussi un peu en Cantabrie et en Castille y León.
Un post (ici) a déjà été consacré à cette race.
Asturiana de los valle la référence pour la viande.
Originaire également des Asturies, cette race allaitante est devenue industrielle. Bien que de structure plus fine (notamment la tête) que sa cousine des montagnes, elle est plus viandeuse grâce à une conformation sélectionnée depuis longtemps. Sa robe est de couleur froment clair, avec parfois les membres et le mufle enfumés. Les cornes sont plus courtes en général. Ceci est très fréquent chez le taureau (comme pour l’Asturiana de la montaña). Elle reste une race de montagne et beaucoup d’animaux effectuent des transhumances estivales vers les alpages de la cordillère cantabrique. La population totale s’élève a plus de 103 000 animaux, majoritairement dans les Asturies, mais on rencontre cette race dans toute la moitié ouest de l’Espagne, notamment en Cantabrie et en Castille et León.
Plus loin encore vers l’ouest, nous voici en Galice. C’est ici où la diversité bovine est à son paroxysme, comme nous allons le voir.
Rubia Gallega la Limousine espagnole
Passons rapidement sur cette race à viande, qui ressemble très fort à la Limousine. A vrai dire, nous n’avons pas vraiment pu faire la différence sauf lorsque l’on nous disait de quelle race il s’agissait ! Les animaux ont parfois la robe un peu plus clair (mais attention aux croisements avec la Pirenaica ou la Blonde d’Aquitaine) et la tête un peu plus longue… On compte un peu plus de 36 000 têtes en Espagne, surtout en Galice, mais aussi ailleurs (dans le centre du pays notamment). C’est une race allaitante importante dans le pays.
Limiá la grande galicienne
Trois races galiciennes se ressemblent beaucoup : la Limiá, la Vianesa et la Frieiresa. Les deux premières singulièrement ! La Limiá est la plus grande de toutes. Elle est originaire du sud de la province d’Orense. D’un port altier, avec de longues cornes relevées, le possède une robe froment souvent enfumée à la tête et aux membres. Autrefois race à triple aptitude (travail, lait, viande), elle a fortement régressé avec la perte de la traction animale. Aujourd’hui sa vocation est uniquement allaitante et elle produit des veaux très recherchés. On compte un peu plus de 1 100 animaux alors qu’il n’y avait plus que 36 femelles en 1991. Son avenir reste cependant incertain…
Vianesa la sœur (presque) jumelle
Cette race, très proche de la précédente, lui ressemble beaucoup. Elle est à peine plus petite. De même est-elle très poilu sur le toupet et à l’intérieur des oreilles. La robe est identique (y compris dans ses variations) à celle de la Limiá. C’est également une race très rustique, utilisée autrefois pour le travail, mais à présent à vocation uniquement allaitante.
La Vianesa est originaire du canton d’O Bolo, à l’est de la province d’Ourense en Galice. On la trouve un peu partout en Galice. Sa population est près de 2 700 têtes.
Frieiresa la gracieuse
Au sud de l’aire d’origine de la Vianesa, on rencontre la race Frieiresa, dont la région des « Frieiras » a donné son nom. C’est ici l’extrême sud-est de la province d’Ourense, non loin du Portugal de Zamora. Proche des deux races précédentes, elle s’en distingue par une tête courte, carrée, plutôt petite et des cornes d’abord dirigées en avant et qui se relèvent en s’écartant. La robe est froment fauve, parfois enfumée aux membres et à la tête (surtout chez le taureau). Elle est vive et assez farouche. Elle a longtemps été utilisée pour le travail et son usage est uniquement aujourd’hui comme race allaitante. Elle produit une viande de grande qualité (notamment les veaux).
Il ne restait plus que 94 animaux en 1991. Grâce au travail de conservation remarquable, la population est remontée et se situe à présent de 900 animaux dont un peu plus de 600 vaches.
Caldelá la noire
Son origine est le canton de Caldelas, dans le nord-est de la province d’Ourense, non loin de celle de Lugo. Longtemps, on a considéré la Caldelá comme la meilleure race pour le travail. Elle aussi réputée pour la qualité de sa viande (notamment les veaux de lait) plutôt que par la quantité qu’elle peut fournir. Sa robe est noire avec des iridescences brunâtres et souvent une ligne dorsale pâle. Elle est de bonne taille avec des cornes souvent ouvertes, longues et évasées. Elle est aussi connue pour son caractère tranquille.
Comme les autres races locales galiciennes, elle a failli disparaître, avec seulement un peu plus de 30 reproducteurs purs en 1994. Depuis lors, ses effectifs sont remontés à 1 450 animaux dont près de 1 000 vaches adultes.
Cachena et ses cornes
Sans nul doute la Cachena est la vache la plus remarquable du nord-ouest de l’Espagne. Elle est originaire du sud-ouest de la province d’Ourense, mais également dans la partie nord du Portugal autour de Vila Real.
C’est une race de petite taille (1,10 à 1,15m), de couleur froment clair à châtain. Mais ce qui la caractérise ce sont ces cornes immenses en forme de lyre haute. C’est une race très rustique, qui s’adapte bien aux sols pauvres. Elle servait autrefois pour les travaux agricoles. Sa viande a une très grande réputation (localement, on la considère comme la meilleure du monde). Il est vrai que certains restaurants qui servent sa viande ne désemplissent pas de la journée… Le veau de 6 mois est également très prisé.
Pas étonnant qu’avec tout cela, la race soit en augmentation numérique, avec un cheptel de plus de 4 500 têtes dont 3 800 femelles. Outre la Galice, on en trouve en Castille et León et un peu ailleurs en Espagne (et au Portugal).
Alistana-Sanabresa la cousine
Juste à l’est de la Galice et de la province d’Ourense, lorsque l’on entre en Castille et León, la partie nord-ouest de la province de Zamora est le berceau de la race Alistana-Sanabresa. Autrefois séparées en deux races (Alistana et Sanabresa), elles ont été regroupées en une seule en 1981.
C’est une race de grande taille, proche du trio Limiá/Vianesa/Frieiresa. Elle possède une robe froment, parfois enfumée à la tête et aux membres (très souvent chez le taureau). Utilisée pour le travail, elle est aujourd’hui, elle aussi, uniquement élevée en race allaitante, avec une réputation pour la tendreté de sa viande et l’excellence du veau. Son cornage rappelle un peu celui de la Frieiresa, porté d’abord en avant et un peu vers le bas puis se relevant et s’écartant parfois.
Il y avait plus de 37 000 têtes dans les années 1950. Depuis la race a fortement diminué pour ne compter qu’un peu moins de 4 000 individus.
De la frontière française à celle du Portugal, on ne rencontre pas moins de 14 races bovines dont la plupart sont à petits effectifs et donc fragiles. Cette concentration de biodiversité domestique est tout à fait remarquable et sans doute sans équivalent ailleurs en Europe. A ces races s’ajoutent d’autres races industrielles comme la Holstein, mais aussi la Limousine, la Blonde d’Aquitaine, la Charolaise, et leurs croisements (souvent nombreux) comme nous avons pu le constater. De même, quelques races fournisseuses de « taureaux de combat » sont présentes dans la région.
Les situations sont contrastées, mais, comme en France, nous n’avons rencontré que des personnes passionnées, désireuses de sauver la race qu’ils élèvent. En Galice où la concentration des races bovines est maximale, nous avons eu la possibilité de visiter le Centre de ressources zoogénétiques de Galice (Centro de Recursos Zooxenéticos de Galicia) de Fontefiz, à Coles, non loin d’Ourense. Nous avons eu droit à un accueil remarquable et pu découvrir le travail incroyable mené par ces scientifiques et ces vétérinaires pour sauvegarder les races locales de Galice. Une sorte de conservatoire des races, avec deux axes principaux pour ce qui concerne les bovins :
- D’une part la présence de troupeaux fondateurs pour maintenir la variabilité génétique.
- D’autre part une cryobanque où sont conservés des embryons et de la semence.
Ce centre est aidé par le département de l’environnement rural du conseil régional de Galice.
Merci à tous les éleveurs rencontrés pour leur gentillesse et leur disponibilité ainsi qu’à ceux qui nous ont mis en relation avec eux !