Grèce en hiver : les oiseaux des sites antiques
Pour les personnes un peu sauvages, l’hiver se prête à merveille à la visite des sites historiques : ils sont quasi déserts ! Ce qui permet de les découvrir sous un tout autre angle, et de s’apercevoir qu’avec leurs vieilles pierres et leurs anfractuosités, ils sont souvent appréciés des oiseaux.
Delphes aux tous premiers jours de février. Soleil superbe et déjà une température clémente. Site de l’Oracle, presque désert. Entre les colonnes, les pierres blanches laissées à même le sol, le théâtre, poussent quelques cyprès et pointent déjà le jaune et le blanc des premières fleurs. Au fond, le mont Parnasse, en partie enneigé. Rougegorges et rougequeues noirs, mais aussi des dizaines de fauvettes à tête noire, tous hivernants, se sont donnés rendez-vous à l’omphalos, le nombril du monde puisque c’était là, selon les anciens Grecs, qu’il était censé être. Le grand ornithologue suisse, Paul Géroudet, dans son texte introductif sur la fauvette de Rüppell, tout à fait inféodée à cette région, évoque le chant de l’espèce « dans les ruines vénérables [de Delphes] enchâssées dans une nature tragique de grandeur ». Il est trop tôt en saison pour l’entendre.
Mais celle qui couvre de ses vocalises tous les autres oiseaux est la sittelle de Neumayer, cousine « minérale » de notre sittelle torchepot. Elle fréquente en effet les falaises, les roches, les escarpements et se trouve bien à l’aise au sommet d’une colonne ou entre des blocs de pierre taillée. Les oiseaux paradent et les mâles, avec leur tuituituituitui sonore allant en s’accélérant, monopolisent l’espace vocal. Le monticole bleu se fait du coup bien discret. Et partout, curieux et effrontés, les rougegorges accompagnent la visite.
Plus au nord, dans les Météores, le paysage est tout autre. C’est encore l’hiver et certaines routes sont bloquées par la neige… Les impressionnants pitons rocheux, surmontés d’un monastère, sont bien austères sous le ciel gris. Les oiseaux se montrent particulièrement discrets, hormis les mésanges charbonnières qui sont déjà à la noce et, une fois encore, quelques sittelles de Neumayer qui mettent un peu d’ambiance. Un geai glisse furtivement entre deux à-pics rocheux, un grand corbeau croasse lugubrement tandis qu’il s’enfonce dans un dédale de roches. Vu l’endroit et les falaises impressionnantes, c’est le moment de chercher le tichodrome échelette qui est tout à fait chez lui. Malgré un scan consciencieux des parois, nous ne trouvons rien… sauf une petite chevêche blottie dans une anfractuosité du rocher, et qui semble gelée.
Le lendemain matin, avec un franc soleil, nous poursuivons la visite des monastères ouverts à cette période de l’année. A celui du Grand Météore nous trouvons enfin un tichodrome qui volète et escalade en soubresauts la paroi de la falaise, juste en contrebas du chemin ! Oui, mais des touristes arrivent aussi avec leurs éclats de voix. L’oiseau va-t-il décoller ? Eh bien non : indifférent aux bruits et aux mouvements, il continue son inspection systématique de tous les petits trous de la roche à la recherche d’animalcules, nous permettant de superbes observations. Puis d’un coup, il décolle de son vol papillonnant et rose.
À Athènes, nous nous limitons cette fois-ci à l’Acropole et son Parthénon. Le temps est plus que printanier. C’est sans doute en partie pour cela qu’il y a déjà pas mal de monde sur le site (mais bien moins qu’en été). Les insectes sont sortis : abeilles, moro-sphinx, papillons, etc. Les fleurs abondent déjà. Et nous ne sommes qu’au tout début de février.
Hormis les pigeons et quelques rares pies, pas grand-chose autour du Parthénon. C’est dans les bosquets de pins et de cyprès autour que l’on trouve les oiseaux : sempiternels rougegorges et rougequeues noirs, mais aussi la fauvette mélanocéphale qui chante déjà et pousse ses crécelles caractéristiques. Et un couple de bergeronnettes grises qui s’active discrètement à construire son nid entre des blocs de pierre, à quelques mètres seulement du chemin où défilent des dizaines de touristes.
A 70 km au sud d’Athènes, le cap Sounion pointe fièrement son éperon dans la mer Egée. Il abrite aussi le temple dédié à Poséidon, le dieu de la Mer. Les deux membres de la Mor Braz Team que nous sommes se devaient d’aller voir ce haut-lieu pour tous les marins. Là encore, le site est presque désert et nous profitons d’une petite brise ensoleillée de fin de journée pour admirer le site. Au large, des puffins yelkouans sont en pêche, tandis qu’un faucon pèlerin rase la falaise. Mais les cerbères du lieu sont les goélands (leucophées) qui patrouillent inlassablement dans les airs et nous fixent de leur œil dur et jaune en nous gratifiant de gèkgèkgèk presque menaçants. A terre, les gardiens sont plus débonnaires. Ce sont des perdrix choukars qui sont aussi nombreuses que peu farouches et qui se promènent allègrement sur le parterre du temple.
Plus loin sur la falaise, invisible pour le non-naturaliste, une chevêche d’Athéna surveille l’horizon : c’est un sentiment particulier de trouver dans ces lieux mythiques cet oiseau dévolu à la déesse grecque de la sagesse.
Le temple de Poséidon est un lieu empreint de quiétude et de sérénité, quelque chose qui monte du fond de l’océan et semble résonner sur le cap depuis la nuit des temps. Au loin, le chant râpeux trahit la présence d’une fauvette mélanocéphale. Pour elle aussi, le printemps est arrivé.