Salers : la plus belle vache de France !
Elle a une classe incroyable, la Salers, avec sa haute stature, ses cornes en lyre ou en spirale, et sa robe acajou, au poil légèrement frisé. Cette race des hauts plateaux auvergnats a, comme d’autres, connu des moments difficiles. Qui semblent aujourd’hui derrière elle…
La Salers est indissolublement liée aux monts d’Auvergne dont elle est originaire. D’aussi loin que l’on s’en souvienne, ce bétail a toujours habité cette région centrale de la France. Peut-être même que son aire originelle de répartition s’étendait-il au-delà.
Aux origines de la Salers
Quoiqu’il en soit, il court encore des légendes à son sujet. Comme le fait que les bovins de la grotte de Lascaux – probablement un aurochs local - seraient ses ancêtres, à cause des grandes cornes qu’ils possèdent également. Le zootechnicien Dechambre dit d’elle, au début du XXe siècle, qu’elle est la race des Celtes. Les récentes études moléculaires donnent une hypothèse toute autre : la Salers appartient au groupe des races alpines, tout comme ses voisines la Parthenaise, la Limousine, l’Aubrac ou encore la Villard-de-Lans ou la Tarentaise.

Aire de répartition originelle de la race Salers et ses premières expansions à la fin du XIXe siècle.
Des animaux au pelage proche de la Salers sont déjà décrits au XVe siècle dans le sud-ouest du massif cantalien. De même, en 1792, Brieude distingue bien ce type d’animaux, mais c’est le zootechnicien Grognier qui, en 1822 donne la première description de la race de Salers. Cette dernière semble encore grossière, avec un corps épais et ramassé, une tête courte, un front large, un fanon pendant, mais déjà un pelage « rouge vif » et des cornes grosses, ouvertes et légèrement contournées en pointe. Puis c’est au cours du XIXe siècle que les premières améliorations concernant cette race sont entreprises, en particulier par Teyssandier d’Escous, un éleveur. Dès 1845, il entreprend un travail de sélection, élimine les sujets non conformes aux critères établis, instaure des campagnes d’hygiène et convainc les autres éleveurs de s’engager dans cette voie. En 1852, la race « auvergnate » devient officiellement race de Salers. Le herd-book (livre généalogique) est ouvert en 1908. La route du succès lui est alors assurée.

Bœuf primé au concours général de Poissy en 1847. Nous sommes aux débuts de la connaissance de la race Salers au-delà de ses monts d’Auvergne. Sa notoriété va rapidement prendre de l’ampleur.

Vache Salers et son veau vers 1855. Cette photo, prise par Adrien Tournachon, dit Nadar Jeune, sans doute la première de la race, a servi à de nombreux modèles d’illustrations, notamment dans le fameux atlas de Baudement de 1860. On voit déjà, la conformation de la Salers à cette époque, qui n’a finalement pas changé beaucoup, si ce n’est des formes plus amples.
Bête de labour
Dès cette époque donc, la Salers ressemble déjà fortement à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est pourtant une race mixte, à la fois laitière et réputée pour le travail. Laitière, elle l’est moyennement, même s’il existe d’excellentes souches. Son nom est attaché au fromage éponyme et elle a été également beaucoup utilisée dans la région de fabrication du saint-nectaire. Pour le travail, sa réputation n’est pas usurpée. Vaches comme bœufs sont capables de travailler dans des conditions difficiles. Si bien que dès le XIXe siècle, on exporte la Salers un peu partout en France et que l’on voit souvent cette race, sur des documents photographiques anciens, souvent en compagnie de bœufs Charolais (Ile-de-France, Nord, Est, Centre-Ouest, sud du Massif central, etc.). De même sa viande connait rapidement un succès, même si elle n’a pas la notoriété des grandes races à vocation bouchère que sont la Charolaise, la Limousine ou ce qui va devenir la Blonde d’Aquitaine. Sa capacité d’engraissement est très bonne.

Vaches attelées vers 1875-1880 dans le Puy-de-Dôme. La conformation de ces animaux, visiblement mal entretenus, est plutôt chétive, la taille reste modeste.
Des essais d’amélioration avec d’autres races – notamment anglaises - sont tentés dans la seconde moitié du XIXe siècle. Highland, Devon et l’incontournable Durham, sont utilisées. En vain…
Les années difficiles
Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, la Salers connait une période faste. Ces qualités de travail ont fait sa réputation. Des améliorations ont été apportées, comme nous l’avons dit, en terme de production de viande. Quant à ses capacités laitières, on essaie de les améliorer également. L’image des burons de montagne de la Haute-Auvergne où l’on trait les vaches est une réalité constante avant de devenir une image du folklore touristique locale. La vache de salers est d’ailleurs extrêmement maternelle. Elle ne donne son lait que si le veau est à côté d’elle et qu’il a commencé à téter. Ce qui n’est pas toujours très simple pour l’éleveur.

Beau troupe de vaches, descendant de l’estive, vers 1908. Remarquer la taille du cornage !

Au début du XXe siècle, les foires donnent lieu à des transactions importantes, comme ici à Aurillac, et bon nombre de bœufs partent vers le nord de la France où ils seront utilisés pour les labours et la traction.
Les choses se compliquent pourtant après la guerre. En effet, deux facteurs concourent à rendre la vie difficile à la Salers :
▪ d’une part, la fin de la traction animale porte un coup rude à toutes ces races de travail. L’exportation hors de l’Auvergne s’arrête et la race se recentre sur sa région d’origine.
▪ d’autre part, sur ses propres terres, la concurrence avec d’autres races plus laitières que la Salers (notamment la Montbéliarde et la Frisonne) entraîne une régression de ses effectifs.
Un tournant à négocier
Ceux-ci ont été relativement constants au cours du XXe siècle avec environ 500 000 têtes. Dans les années 1970, le nombre de vaches est d’un peu plus de 157 000 têtes. A partir des années 1980, les effectifs remontent et l’on considère aujourd’hui le nombre de vaches à environ 205 000 têtes, les 2/3 étant dans le berceau d’origine (Cantal, Puy-de-Dôme et Corrèze). Dès lors, deux rameaux vont voir le jour : le rameau viande et le rameau lait.
Le rameau viande est sans nul doute celui qui aura permis de sauver la race. Les vaches deviennent allaitantes pour la production de veaux et de broutards, soit en race pure, soit en croisements industriels avec des races comme la Charolaise, principalement. Le format de la race se modifie et les animaux deviennent plus lourds avec un corps assez parallélépipédique. Les vaches devenues de véritables « moules à veaux ». C’est un peu dommage pour la race, c’est primordial pour sa survie (voir l’article sur l’Aubrac qui a connu un peu le même sort).

Vache croisée Salers x Charolaise.
L’autre rameau est le rameau laitier. Celui-ci a connu des heures vraiment difficiles. Au début des années 1980, 50 % des vaches de Salers étaient traites. Aujourd’hui, seuls 5 % des vaches appartiennent à ce rameau laitier. Celui-ci contribue à l’élaboration de fromages sous appellations AOC comme le cantal, le salers et le saint-nectaire. Autant dire que ce rameau reste fragile, vu les effectifs relativement faibles.

Image d'un autre temps... La traite manuelle des Salers (années 1960). Aujourd'hui les vaches traites sont très minoritaires.

Paire de bœufs Salers. Aujourd’hui ces animaux ne sont plus utilisés que lors de manifestations folkloriques ou de démonstrations de labourage (photo Peïre Thouy).
Quel avenir pour la Salers ?
La production de viande a permis à la salers de se maintenir. Le croisement industriel, même s’il répond à des impératifs économiques, n’est pas forcément bon pour l’avenir de la race. Depuis 2004 cependant, un label rouge pour la viande de Salers a vu le jour. Dans le cahier des charges, il est précisé que cette viande doit être 100 % Salers. Ce qui permet de maintenir la Salers en race pure et de proposer une viande de qualité en respectant théoriquement les règle de l’élevage traditionnel.
Côté rameau laitier, un AOC existe également – « Tradition Salers » - qui garantit des fourmes de Salers fabriquées uniquement à partir du lait de cette race. Pour l’avoir goûté, on sent la différence ! Il est nécessaire de maintenir de rameau laitier et de mettre en avant les produits « 100% Salers ». Le consommateur est, de toute façon, de plus en plus demandeur de produits de qualité pour son alimentation.

Beau taureau Salers actuel (photo Matthieu Vaslin).

Vache de type actuel, bien conformée, Celles, Cantal, août 2011.

Autre vache, celle-ci est déjà un peu plus lourde, a finalité nettement allaitante. Remarquer le toupillon de la queue blanc, typique de la race. Condat, Cantal, août 2011.
L’avenir de la Salers passe aussi par le maintien de l’intégrité de la race et que celle-ci qui puisse conserver ses cornes majestueuses. On ne peut qu’être désolé en voyant des animaux – qui s’exportent à présent dans 30 pays – dépourvus de cornes dans les grandes exploitations d’Amérique du Nord mais aussi (de plus en plus fréquemment ?) dans les campagnes françaises.

Troupeau de Salers sur les hauts plateaux du Cantal, vers Allanche.

Présence de la Salers « en plaine » est de plus en plus fréquente comme ici, le long de la vallée de l’Epte à la frontière entre l’Oise et le Val d’Oise.

Les animaux du Salon de l’agriculture de Paris sont devenus de vrais « poids lourds » comme ces vaches qui pèsent ici entre 760 et plus de 800kg.
Encadré : la Salers noire
Le pelage de la Salers est acajou, mais régulièrement naissent des animaux à la robe noire. La légende veut que ces animaux soit plus laitiers que ceux à robe rouge, mais ceci n’est pas vrai. Certains éleveurs la considéraient comme porte-bonheur quand il en naissait une dans le troupeau. La corne noire des sabots est particulièrement solide, si bien qu’on ne ferrait pas les bœufs de Salers noirs. Au XIXe et au début du XXe siècle, on délaissait cette variété noire, car on voulait que la couleur acajou soit LA couleur de robe de la race. Sans la ténacité de quelques éleveurs qui ont conservé coûte que coûte cette variété, celle-ci aurait pu disparaître.
Un troupeau homogène d’une cinquantaine de bêtes existe à présent. Il est chez Marcel Matière, dans le Cantal, qui a patiemment sélectionné ses animaux. La demande est importante, notamment chez les éleveurs nord-américains et anglais, habitués à avoir du bétail de couleur noire. Voici peut-être un avenir pour cette variété de Salers ?

Deux vaches Salers noires appartenant au superbe troupeau Matière.

Jeune Salers noire, Paulhac, Cantal, août 2004.

La Salers noire est très prisée en Amérique du nord, mais elle a perdu ses cornes, ce qui gâche tout !
Encadré : Vergeade et Bessarde
En race Salers, certains animaux peuvent encore présenter des zones blanches sur la ligne du dos, le ventre et les membres. On les appelle « vergeades » et ils ont donc une robe de type « pinzgauer » (comme la race autrichienne Pinzgau). Il y avait autrefois une population dite « Bessarde » que l’on trouvait dans l’Artense et le Cézallier. Ces animaux possédaient un robe panachée, des membres plus courtes et le poil n’était pas frisé comme la Salers. Il s’agissait d’une variété de la Salers qui faisait, en quelque sorte, la transition entre cette race et la Ferrandaise. Il est possible que les Salers « vergeades » actuelles puissent, en partie, descendre de cette population Bessarde.

Vache Salers de type « vergeade », début du XXe siècle.

Vache Salers de type « vergeade », monts du Cantal, 1991.

Le poil de la Salers est légèrement frisé, caractéristique de cette race pleine de charmes !