Expédition dans le désert de Gobi, épisode 7
Carnet de voyage d’Élise
Sixième jour. Jeudi 23 juin.
Lever de soleil sur le désert de Gobi. Les alouettes de Swinhoe chantent.
Nous avons décidément mal partout, la nuque en compote - sol encore très dur cette nuit.
Je commence à renoncer à l’idée de me laver autrement qu’avec mes pauvres lingettes.
Hier soir, je suis allée seule jusqu’à un petit bâtiment de berger, à un kilomètre de là. Silence, solitude. Des idées me traversent l’esprit. Et si je tombais sur un loup ? Et si je trouvais un squelette humain dans la vieille bâtisse ? En réalité, j’espère trouver une chevêche ou des chauves-souris, mais le bâtiment n’est nullement abandonné, il est fermé par deux cadenas !
Une famille de traquets du désert me fait la fête, les jeunes venant voleter, curieux, autour de moi. Je suis sans doute le premier humain qu’ils voient.
Les murs sont protégés par de la bouse de vache séchée, un mur d’enclos a été construit avec ce même matériau. Mais pas de petite chouette, ni de chauve-souris.
Le désert est désert, sauf pour les moustiques. D’où sortent-ils ? Ils sont des dizaines à vouloir me piquer. Les paysages sont parmi les plus beaux que j’ai jamais vus, mais ils se méritent… Terbish lui-même commence à avoir le cheveu fou. Cinq roselins de Mongolie me filent sous le nez pendant que j’écris.
Hier, belle obs de perdrix choukar, se baladant dans le chemin puis grimpant dans les rochers, le long de la montagne. Elles ne sont pas très farouches, sans doute ne croisent-elles pas beaucoup d’humains elles non plus.
L’une d’elle se perche très haut, sur un rocher, et toise la gorge de son mirador pour gallinacé.
Incroyables syrraphtes
Hier encore, nous avons revu des syrrhaptes.
Le syrrhapte paradoxal est l’un des plus beaux oiseaux que je connaisse. On le croirait fondu dans du vieil or. Cet oiseau mythique est en lui-même une œuvre d’art : il suffirait de le poser tel quel sur un socle, et sa beauté se suffirait à elle-même. Certains diront que ce n’est qu’une sorte de gros pigeon, mais j’aime ses couleurs dorées, ses marques noires, sa façon de voler dans la steppe, comme un éclair d’or soudain. Et son cri très doux : drrrou…drrrou… Il se déplace en petits groupes.
Et on ne peut pas se tromper, pour l’identifier !
Syrrhaptes. Cette espèce faisait des incursions, tel Ghengis Khan et ses troupes, vers l'Ouest jusqu'en Europe, et même en France où elle a niché à la fin du XIXe siècle. Et puis plus rien depuis 1908. Pourquoi ? C'est encore un mystère du syrrhapte paradoxal.
Je ne suis pas une grande spécialiste des identifications (même si je reconnais un paquet de bestioles) ! J’ai une approche beaucoup plus rêveuse de la nature que mes collègues ornithos.
Mais je regarde tout : les petits insectes, les reptiles, les oiseaux, et ce que je préfère, ce sont les mammifères. J’aime aussi écouter le silence ponctué de chants d’oiseaux, de coassements, de bruits d’insectes. Il y a différentes façons d’être naturaliste, la mienne est plus contemplative que scientifique : observer de petites choses, photographier un oiseau ou un papillon, être seule. J’ai l’impression que dès qu’on est deux, on n’a plus le même rapport à la nature, on devient déjà le début d’une meute.
Au matin, sur la tente commune, on découvre cette grosse et incroyable bestiole. C'est un solifuge. Un arthropode, comme les araignées et les scorpions.
Les animaux du désert sont parfois difficiles à repérer, tant ils sont cryptiques. Ici un agame à tête de crapaud, passé maître dans l'art du mimétisme.
Les syrrhaptes, donc… Ce matin, nous en avons revu, et l’observation a été extraordinaire. Des groupes entiers tournoyaient dans le ciel, pour se rendre à un point d’eau.
Puis on reprend la route. Désert, désert, désert...
« Is it the good way ? », demande Philippe à Terbish, soudain inquiet.
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