Thierry Ségard : les aventures d’un photographe dans l'univers des races domestiques à petits effectifs

Publié le par lesbiodiversitaires

Thierry Ségard est un photographe équestre bien connu dans son métier. Mais il est aussi capable de courir dans les fourrés après des cochons rares ! Il a bien voulu nous raconter sa découverte de la biodiversité domestique. 

 

Thierry, tu es un habitué du monde équestre, des écuries, des éleveurs de chevaux. Pour le livre Terroirs, tu es parti en reportage quelques mois auprès des éleveurs de races à petits effectifs. Comment as-tu vécu cette immersion dans un univers finalement peu connu, celui des races domestiques rares ?

Ça a été une découverte et un vrai bonheur. Je n’ai pas changé de décor (quand je photographie les chevaux, c’est aussi à la campagne), mais le profil des éleveurs de races à petits effectifs est très particulier, car leurs choix d’élevage correspondent aussi à des choix de vie : c’est vouloir produire de la qualité, militer pour la préservation d’une race.

C’était passionnant, avec des gens passionnés et de très beaux animaux que je ne connaissais pas et que j’ai pris un vrai plaisir à photographier.

 

Quelle a été ton aventure la plus marquante ?

De photographier les cochons ! Les porcs cul noir du Limousin sont très malins et très rapides, et vivent dans un immense espace ! Ça a été un peu sportif de les trouver. Ils m’ont fait cavaler pendant une heure et demi, à la ferme de Pigerolles, chez M. Joigny. On a fait une partie de cache-cache dans un grand pré pentu, dans les genets en fleurs : ils se planquaient là-dedans ! L’éleveur me disait : « bouge pas, je vais te les renvoyer », et je voyais passer juste des silhouettes de porcs. Et dès qu’ils m’apercevaient, ces petits gorets, ils faisaient demi-tour ! Je voyais juste les genets bouger ! Ils partaient dans tous les sens. J’ai vu le moment où je n’arriverais pas à faire de photos et où j’allais revenir bredouille !! Puis, par chance, trois petits gorets sont apparus quelques secondes, ce qui m’a permis d’assurer des images.

Porcs cul noir du Limousin (photo : Thierry Ségard)

Porcs cul noir du Limousin (photo : Thierry Ségard)

Au milieu du plateau de Millevaches, M. Joigny Chatou est un jeune fermier qui a choisi d’élever des porcs noirs, avec une unité de méthanisation qui chauffe des serres : c’est le mélange du progrès, de la technologie et des races anciennes.

J’ai aussi fait d’autres belles rencontres. Guy Chautard et ses vaches ferrandaises, quel homme passionné ! Dans son troupeau, il a une vache ferrandaise affectueuse qui lui pourlèche la bobine, le béret. Ces vaches aux robes si variées sont toutes plus belles les unes que les autres : c’était un feu d’artifice de couleurs, de taches. Le jour où je photographiais des ferrandaises chez lui, on est tombé sur M. Desseigne qui passait en voiture, et dans la conversation, il nous propose de venir voir ses vaches salers, au-dessus d’Ambert, à l’est de Clermont-Ferrant. Donc après avoir photographié les ferrandaises, nous voilà partis. M. Desseigne est allé chercher ses vaches au loin dans la montagne et c’était très beau de voir sa silhouette et celle de ses vaches se découper dans la lumière sur la crête de la montagne, quand il nous les a ramenées.

Tous ces éleveurs parlent avec énormément d’amour de leurs animaux, même si ce sont des animaux de rente. Leurs élevages sont à taille humaine et ça change tout. Quand ils guident les vaches, par exemple, la voix a son importance. Elles sont très habituées à la voix et savent très bien à qui elles ont affaire : il faut leur parler doucement, elles aiment leur petites habitudes, et que ce soit toujours la même personne qui viennent leur parler. J’ai appris plein de choses.

Guy Chautard et une vache ferrandaise (photo : Thierry Ségard)

Guy Chautard et une vache ferrandaise (photo : Thierry Ségard)

Toi qui es un habitué de l’esthétisme du cheval, quels sont les autres animaux que tu trouves particulièrement photogéniques ? Et au contraire lesquels as-tu trouvé difficiles à photographier ?

Plus l’animal est petit, plus c’est compliqué, parce qu’ils sont bas et en règle générale ils bougent plus vite. Les plus durs, ce sont les poules et notamment la poule bresse gauloise ! Parce qu’elles vivent en élevage extensif, sont assez sauvages et ne se laissent pas approcher. Donc quand elles te voient,  elles se sauvent, malgré une certaine curiosité. 

Pour le reste, je les ai tous trouvés photogéniques, quelle que soit l’espèce ou la race. Ce ne sont que des beaux animaux. Puis à chaque animal est associé un éleveur, et eux aussi sont touchants, courageux, de faire des choix pareils. J’ai aimé par exemple Ména Chassevent, éleveuse de brebis basco-béarnaises, parce que cette éleveuse travaillait dans des conditions difficiles, qu’elle s’y donnait à 300 % avec bonheur. Je l’ai vue quand il faisait beau, mais elle travaille aussi par mauvais temps, quand il pleut, qu’il y a du brouillard… Ce sont des choix assez radicaux, loin des technologies modernes

Ména Chassevent, éleveuse de brebis basco-béarnaises (photo : Thierry Ségard)

Ména Chassevent, éleveuse de brebis basco-béarnaises (photo : Thierry Ségard)

Ton travail de photographe était une démarche artistique et informative, mais qu’as-tu appris auprès de tous ces éleveurs ?

J’ai appris comme il est difficile de faire ce qu’ils font, j’ai beaucoup de respect pour eux, car le modèle qu’ils ont choisi n’est pas le modèle dominant, et qu’en plus le modèle dominant fait tout ce qu’il peut pour leur compliquer la vie. J’ai eu le sentiment qu’on est arrivé au bout d’un système économique agricole, qui rend malheureux les agriculteurs aujourd’hui. Tandis que ces éleveurs de races à petits effectifs, avec leur modèle économique différent, semblaient plus heureux. Ils semblent s’en sortir mieux finalement. Du coup ça m’a donné de l’espoir pour la suite. Il y a d’autres pistes, des gens qui font autrement, et notamment des jeunes. Et c’est rassurant. J’ai rencontré des personnages extraordinaires.

J’ai vu par exemple M. Mercier, un des derniers à fabriquer du camembert au lait cru avec des vaches normandes : c’est toute une tradition, un patrimoine.

J’aurais encore tant d’autres exemples ! Ce qui m’a étonné, c’est de trouver autant de races de terroir dans toute la France, de découvrir qu’il en existe autant, partout.

Ça a aussi été une découverte de travailler avec une journaliste culinaire, et de rencontrer des grands chefs, animés aussi par la passion de valoriser le produit.

 

Penses-tu continuer à être en lien avec cet univers de la biodiversité domestique ?

J’adorerais et je l’espère, j’ai pris un vrai plaisir à travailler sur ce projet et à photographier ces beaux animaux et leurs éleveurs. Mon seul regret est de n’avoir pas pu passer encore plus de temps avec eux. Ce ne sont que de belles rencontres, ils ne sont pas dans le paraître, ils te reçoivent tels qu’ils sont, et ça, c’est assez rare.

 

 

 

Le dernier livre de Thierry Ségard :

 

Terroirs - Des races patrimoniales, des éleveurs, des produits d'excellence.

Sophie Brissaud (pour le texte) et pour les photos : Louis-Marie Préau et Thierry Ségard

Paru le 12 octobre 2017

 

Et retrouvez quelques nouvelles de Thierry Ségard sur sa page Facebook ici.

 

 

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P
Superbe livre et superbes photos. Bravo aux éditions Delachaux et Niestlé !
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