Les origines de la vache normande
La race bovine normande est bien connue de tous, tant elle est liée, emblématiquement, aux vergers en fleurs de la Normandie. Au-delà de l’image d’Epinal ou de la carte postale, cette race a connu un essor considérable pour se trouver, au cours de ces dernières décennies, dans une position plus difficile. Mais, au fait, d’où vient la Normande ?
La race Normande est née de la fusion de plusieurs races ou populations bovines qui vivaient en Normandie. La plus connue (et la plus importante) est sans contexte la Cotentine, qui s’est d’ailleurs confondue avec la Normande au début du XXe siècle. Mais deux autres races ont joué un rôle secondaire : l’Augeronne et la Cauchoise. Il y a eu également la Brayonne, qui était davantage une simple population.
La Cotentine, maîtresse vache
La race Cotentine occupe au cours du XIXe siècle la péninsule du Cotentin d’où vient son nom. Son origine est mal connue : il y avait au XVIIIe siècle la grande et la petite « race » Normande dont elle est sans doute issue. La petite variété, selon les textes anciens, ressemblait par sa taille et sa conformation à la Jersiaise. D’ailleurs il est possible que l’actuelle Normande, par sa génétique, soit plus proche de la Jersiaise que des autres races françaises.
La robe de la Cotentine est typiquement bringée, c’est-à-dire que sur la robe de couleur brun-rouge, on note la présence de bandes parallèles noires appelées "bringeures". Celles-ci parfois rapprochées au point de faire apparaître la robe presque noire (il y avait d’ailleurs, jusque vers les années 1850, des animaux à robe noire). Le brun-rouge peut être plus pâle - rouge clair, blond ou froment. Le pelage est plus ou moins envahi de blanc, surtout sur les côtés du ventre, du tronc et de la tête, comme celui que l’on retrouve chez l’actuelle Normande. Cependant, il est probable que, jusqu’au tournant du XXe siècle, il y avait pas mal d’animaux à la robe très couverte (avec peu de blanc). D’autre avait une robe panachée, assez claire, qui rappelle celle de la Montbéliarde.

Représentation de la Cotentine vers 1850. On note une robe très couverte, presque unie mais aussi bringée. Le blanc
n'est présent que sur la tête, le bas ventre et les membres

Vache de race Cotentine, primée à Rouen en 1855. Robe très couverte avec peu de blanc
Quelques exemples de vaches de race Cotentine :

Noter la tête allongée, la haute stature, les cornes relevées (vers 1900)

Vache Cotentine primée à Paris en 1899

Belle vache Cotentine du début du XXe siècle. Noter le cornage relevé là encore
Dès les années 1770, les éleveurs pratiquent des croisements avec l’Augeronne, la race voisine (voir ci-dessous), ce qui a pour conséquence un pelage plus pie-rouge (avec plus de blanc). Les animaux sont connus pour leur grande taille – il y a eu le fameux bœuf cotentin de 2m présenté à Paris en 1845.

Type de boeuf Cotentin (poids 1 038 kg) primé au concours général de Paris en 1900
Au fur et à mesure que nait la race Normande, celle-ci s’émancipe du Cotentin. On la rencontre dans une bonne partie de la Normandie (haute et basse) et jusqu’à l’Ile-de-France.
L’Augeronne, d’origine batave
A côté de la Cotentine, on rencontre une autre vache dans les prairies du Calvados, de l’Orne et de l’Eure. Cette race semble avoir une origine différente de la Cotentine, et serait peut-être proche de races anciennes d’Ecosse (Kiloe, Highlands). Ce qui est plus probable c’est que vers 1730 on croise ces animaux avec du bétail (probablement pie-rouge) originaire des Pays-Bas. C’est l’Augeronne qui s’engraisse facilement, qui va donner à la Normande sa viande de qualité (la Cotentine étant surtout laitière).

Vache Augeronne représentée dans un ouvrage de 1860. Noter l'absence de "bringeures" et de "truitures"
La robe de l’Augeronne est blanche avec des taches rouges ("truitures") disséminées sur le corps, parfois réunies en plaques, surtout sur les parties antérieures et aux extrémités (membres, oreilles, pourtour des yeux) qui sont bordées de rouge. Elle est rarement bringée. Elle est moins haute et moins lourde que la Cotentine. Des tentatives de croisement avec la Durham, à la fin du XIXe siècle, sont rapidement abandonnées. On va, par contre, utiliser des taureaux cotentins en croisement d'amélioration et d'absorption. L'Augeronne sera donc absorbée dans la Cotentine.

Bel exemple de vache Augeronne à la robe "truitée" (début du XXe siècle)

Au début du XXe siècle on trouve encore ça et là des vaches Augeronnes comme celle-ci
sur le champ de foire de Donfront, Orne
La Cauchoise, moins connue
Cette population vit dans le Pays de Caux, en Seine-Maritime. Elle est donc en contact avec d’autres races comme la Flamande (et la Picarde, aujourd’hui disparue), mais aussi avec la Cotentine. Les animaux sont assez grands, mais relativement fins, sans doute du fait de leur parenté, plus ou moins éloignée, avec la variété picarde de la Flamande. La robe pie-bond (le blanc est souvent minoritaire) avec la tête blanche, plus longue que celle de la Cotentine.

Taureau cauchois, primé au concours général de Paris en 1856. Noter la robe très couverte et la tête blanche ainsi que le bas des membres et une partie du ventre
La Cauchoise est laitière. Elle est croisée assez régulièrement au XIXe siècle avec la Durham, mais c’est surtout l’introduction de sang cotentin qui va l’améliorer. Celle-ci a lieu à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Une tentative de reconstitution de la race Cauchoise au début du XXe siècle, pour obtenir des individus plus grands et plus lourds que ceux du Cotentin et plus laitiers que ceux de la Basse-Normandie, ne sera pas maintenue. Comme l’Augeronne, la Cauchoise s fond alors dans la Cotentine pour former ce qui est déjà la Normande. Elle disparaît dans les années 1920.

Vache cauchoise de type ancien (années 1920). Noter la robe couverte et la tête allongée,
différente de celle de la Normande actuelle

Vaches de type Cauchoise, Yport, Seine-Maritime, début du XXe siècle
D’autres populations normandes…
Une population bovine existe aussi, au XIXe siècle, dans le Pays de Bray (arrondissement de Neufchâtel), en Seine-Maritime. Ces animaux ressemblent à ceux des races précédentes, mais il y a eu des croisements constants avec la Hollandaise (la future Holstein). C’est une race de taille moyenne à haute, avec une robe à fond blond plus ou moins foncé avec bringeures et plaques blanches plus ou moins étendues. La tête est parfois blanche, avec les yeux et le mufle bordés de poils foncés de la couleur du pelage. Les vaches sont laitières, avec cependant un bon engraissement. Elle aussi fusionnera avec la Cotentine et la Normande.

Vache de type Brayonne (début du XXe siècle). On remarquera la proximité de robe et de conformation avec la Cauchoise

Foire aux bestiaux, Forges-les-Eaux, Seine-Maritime. L'animal à l'arrière plan est de type Brayonne (vers 1907)
Il existe d’autres variétés locales dont on ne sait pas grand-chose. La Mayennaise, la race à basse corne de la région de la Hague, la variété du Bessin, la race de Merlerault. De même on connait la Beauceronne, mais toutes ne sont que des variétés plus ou moins bien individualisées des races plus importantes de Normandie. Enfin, au début du XIXe siècle existait dans le Perche une variété de la Normande appelée ‘’Percheronne’’. Elle aurait contribué, avec la Mancelle et, surtout la Durham, à la naissance de l’actuelle Saosnoise dont une variété de robe est appelée « percheronne ».

Taureau de type Percheron (début du XXe siècle). Le bas des membres est souvent coloré

Vache Normande photographiée en 1856 (!) à l'occasion de l'exposition universelle de Paris. La robe est
celle d'une Montbéliarde actuelle !

Tableau récapitulatif montrant les différentes composantes ayant abouti à la création de la race Normande
(l'épaisseur des traits est proportionnel à l'influence de chaque race ou population bovine)
Et aujourd’hui
De toutes ces races et variétés, il ne reste plus que la normande, issue principalement de la Cotentine. Cette vache a eu une très forte influence au cours du XXe siècle, grâce à sa double vocation, laitière surtout, mais aussi sa viande, fine et persillée. C’est la Normande qui est derrière de fameux fromage comme le livarot, le pont-l’évêque et, bien sûr, le camembert. Omniprésente dans une grande moitié nord de la France, ses effectifs atteignent les 3 millions de têtes en 1943 et même 5,7 millions en 1972. Ensuite, ceux-ci diminuent fortement devant la poussée de la Frisonne puis de l’Holstein. En 1984, les chiffres redescendent à 3 millions de têtes, dont 1,5 millions de vaches. Au début des années 2010 l’effectif de ces dernière de se situe autour de 463 000 (et 2 millions de têtes)… Cependant, la normande s’exporte bien, comme en Amérique du sud, par exemple, où elle est très présente en Colombie, en Uruguay, au Brésil. On la trouve aussi aux Etats-Unis et, plus près de nous, il y a un troupeau important en Belgique.


Deux exemples de Normande actuelle
La Normande, un peu malmenée en France, résiste plutôt bien. Elle le mérite car à côté de ses qualités laitières indéniables, elle fournit une viande de très grosse qualité, appréciée des connaisseurs.

Vache Normande de... compétition (source Normande Genetics)