Promenades ornithologiques en France… Du rêve à la réalité
Imaginez un instant une sortie en compagnie d’ornithologues qui vous montreraient tout ce que la France abritait comme oiseaux il n’y a pas si longtemps et qui, comme par enchantement, seraient de nouveau présents dans nos campagnes. Un rêve… suivi d’une réalité expliquée.
Le rêve : C’est l’hiver dans le nord de la France. Sur les grandes « pannes » dunaires arrière-littorales, les corneilles mantelées, ici comme partout dans la moitié nord du pays, sont nombreuses, sans cesse en quête de nourriture. Elles sont descendues du nord de l’Europe comme chaque hiver et passent ici la mauvaise saison. Parfois, elles houspillent des pygargues à queue blanches, ces aigles pêcheurs également nombreux à cette saison et venus des mêmes contrées qu’elles. Dans les marais alentours, pâturent des milliers d’oies – rieuses, des moissons.

Corneille mantelée – une des dernières vues dans le nord de la France (2003).
Les amateurs de petits passereaux sont à la fête. Dans les dunes ou les estrans abrités où les prés salés sont présents, de grandes bandes de bruants des neiges cherchent leur nourriture en compagnie d’alouettes haussecols et de linottes à bec jaune. Tout ce petit monde est descendu lui aussi des zones arctiques où ces oiseaux se reproduisent.
La réalité : vous pourrez arpenter des dizaines de kilomètres de dunes littorales nordistes sans voir une corneille mantelée. Celle qui figure dans les peintures anciennes (Breughel, les Très riches heures du Duc de Berry) a aujourd’hui complètement disparu de cette partie de la France. L’espèce s’est sédentarisée à cause du climat plus doux et ne vient plus hiverner ici. Quant au pygargue à queue blanche, il a beaucoup diminué, victime de la chasse jusqu’au milieu des années 1950. Et aujourd’hui, même s’il reprend des couleurs, il ne vient plus en hiver qu’en de rares endroits de l’hexagone. Les oies, elles, ont bien compris que passée la frontière belge, elles mettaient leur vie en danger. Si bien qu’elles restent sagement au Benelux, ne viennent chez nous que poussées par le grand froid ou la neige. Elles n’y restent pas car elles sont accueillies par une salve continue de plombs…
Les petits passereaux nordiques, autrefois si réguliers, se sont faits rares à présent. Si le bruant des neiges se montre encore, l’alouette haussecol a bien régressé. Quant à la linotte à bec jaune, on peut dire qu’elle a (quasiment) disparu. Là encore, c’est le résultat du réchauffement climatique en cours.

Troupe de Bruants des neiges en vol
Un autre rêve : le printemps, c’est la période pour observer les oiseaux nicheurs. Dans les grandes plaines champenoises, les outardes barbues sont en pleine parade, sur les savards (zones herbacées, un peu steppiques), où paissent d’innombrables moutons. Les mâles déploient leurs plumes blanches. Sur les rares buissons qui parsèment ce paysage, chantent des bruants ortolans, revenus avec les beaux jours de mai.
Plus au nord, on signale des syrrhaptes paradoxaux. Il semble que ce soit une bonne année pour cette espèce, proche des pigeons, et qui, régulièrement, fait des incursions en Europe de l’Ouest, venu des grandes steppes d’Asie centrale. Peut-être certains resteront-ils pour nicher.
Dans les régions riches en étang, il faut sortir le soir et s’asseoir en bordure d’un marais. Là, dans le concert tonitruant des grenouilles, on prêtera l’oreille. Les marouettes poussin, de Baillon et ponctuée s’unissent aux amphibiens et font entendre leurs chants caractéristiques. Ces petits volatiles, de la famille de la poule d’eau et des râles et de la taille d’un étourneau, se montrent peu et sans doute faudra-t-il se contenter de leur chant.

Syrrhaptes paradoxaux (photo J-M. Thibault).
Les prairies humides, parsemées de fleurs à cette période de l’année, accueillent le « roi des cailles », c’est-à-dire le râle de genêts, revenu d’Afrique tropicale et qui, la nuit venue, lance son lancinant crex…crex… qui lui a donné son nom scientifique. Certains soirs, leurs vocalises dominent l’espace auditif.
Dans ces mêmes régions, et plus au sud jusque dans les Landes, les grues cendrées, avec leur haute taille ne passent pas inaperçues, même si, en période de reproduction, elles peuvent être très discrètes. Et si l’on n’a pas pu les voir, au moins se consolera-t-on avec les pies-grièches grise, à poitrine rose et à tête rousse, que l’on rencontre partout dans la campagne, nichant dans les haies ou le long des alignements d’arbres qui bordent chemins et petites routes.
La réalité : la Champagne crayeuse est une immense zone agricole où céréales, maïs et colza dominent le paysage. Ne cherchez plus l’outarde barbue. Elle a disparu depuis longtemps. Le bruant ortolan a survécu quelques décennies de plus, mais il n’a pas supporté, lui non plus, de voir son habitat totalement détruit. En Champagne humide proche, en revanche, la création de grands réservoirs a attiré des milliers et des milliers de grues cendrées en migration, et à présent en hivernage. Avant, elles y étaient rares. Mais l’espèce ne niche quasiment plus en France, hormis dans un petit noyau lorrain d’apparition récente. Les syrrhaptes paradoxaux n’ont plus été revus en France depuis le début du XXe siècle. A cela, le fait que les grandes steppes asiatiques ont régressé et, avec elles, le nombre de syrrhaptes. De même, les trois espèces de marouettes ont considérablement diminué devant l’assèchement des zones humides. Seule la marouette ponctuée survit en petit nombre (les deux autres ne nichent plus chez nous que de façon exceptionnelle). C’est d’ailleurs la même chose pour le râle de genêts qui est en train de disparaître de France. Ici, c’est la fenaison de plus en plus précoce (notamment à cause du climat plus chaud) qui broie les couvées en même temps qu’elle met l’herbe en bottes.

Bruant ortolan
Les pies-grièches sont aussi bien à la peine. La pie-grièche à poitrine rose, autrefois communément répartie en France, ne subsiste plus que dans le Languedoc (moins de 20 couples). La pie-grièche grise suit le même chemin (moins de 1 000 couples) alors qu’elle était commune encore il y a 3 ou 4 décennies. La pie-grièche à tête rousse également… La modification des milieux naturels, voire leur disparition, les bouleversements du climat et l’utilisation de pesticides sont les causes de ces déclins.
Le paysage ornithologique français a bien changé en un peu plus d’un siècle ! Certes, des espèces sont apparues (certaines pas vraiment souhaitées, notamment les espèces invasives). Mais enfin, d’un point de vue général, nous avons perdu de belles espèces emblématiques. L’ennui c’est qu’elles déclinent aussi ailleurs en Europe…
Alors, pour nous consoler, attendons le printemps pour témoigner du retour des hirondelles, entendre le rossignol philomèle dans un hallier en bordure de fleuve, s’émerveiller du jaune du loriot ou du plumage coloré du guêpier d’Europe, tendre l’oreille pour le chant de l’engoulevent, aller en forêt traquer les gobemouche noir, le pouillot siffleur ou le rougequeue à front blanc. Oui, mais pour combien de temps encore ? Qui sait si, dans un siècle, on n’évoquera pas ces espèces de la même façon que l’avons fait ici pour leurs consœurs, c’est-à-dire à titre… posthume ?

Pie-grièche à poitrine rose