Le renard a becté nos poules...
Toutes les quatre, elles étaient dodues à souhait. L’orpington surtout : une vraie honte tant elle était lourde. A passer leurs journées à chasser dans un grand terrain herbeux, à se dorer la pilule au soleil, et à se prélasser, il faut bien dire qu’en ce printemps les poules n’avaient jamais été aussi belles. Il leur est arrivé ce qui arrive aux poules : elles ont fini dans le ventre d’un renard.
Pour une poule, c’est après tout une mort glorieuse et héroïque que de finir sous les crocs de Maître Goupil. Plus en tout cas qu’en nuggets chez MacDo.
Mais merde, voir d’un coup ses quatre petites copines à crête éparpillées autour du poulailler, ça fout un vieux bourdon !
Le poulailler n’était certes pas sécurisé. Actuellement en maison de location, impossible pour le moment de construire le bunker anti-renard/anti-fouine adéquat. Mais bon, après 8 ans de bonne fortune poulesque, sans aucune prédation, on espérait bien que, pour quelques mois encore, la chance continuerait.
Eh bien elles n’auront pas d’arthrose aux ailes, ni de maladie d’Alzheipoule ! Le gros renard du quartier leur a réglé leur compte.
Oh on sait bien comment ça a dû se passer : d’abord l’orpington. Celle-là, le temps que ça lui arrive au cerveau qu’il se passait quelque chose, elle était déjà croquée. Puis Poulette, la plus vieille. Ensuite les deux marans, les plus vives et intelligentes, qui venaient réclamer avec effronterie des croûtes de fromage, culottées jusqu’à rentrer dans la maison si une porte était restée ouverte, en annonçant leur présence par des cot-cot quémandeurs, et qu’il fallait virer de là avant qu’elles ne lâchent une fiente. Toutes les quatre super apprivoisées.
Impossible de reprendre des poules tant qu’on est en location : avec ce poulailler non sécurisé, le renard reviendrait. Il va falloir vivre sans les rigolades quotidiennes que provoquent les poules, sans œufs frais, et surtout : mais que va-t-on désormais faire des croûtes de fromage ?!
On n’en veut pas au renard. Il a fait ce que font tous les renards. On connaissait le risque.
En même temps, on n’a pu s’empêcher, devant le spectacle des cadavres, de penser immédiatement à certains de nos copains, éleveurs de races à petits effectifs, qui râlent après l’ours ou le loup. Et on a beau aimer les loups aussi, et les défendre, il faut bien admettre que c’est toujours un choc d’avoir une prédation sur son élevage, quelque chose de très chargé en émotion. Si nous n’avons perdu « que » nos quatre poules de compagnie (bouhouhou), les éleveurs quand ils perdent plusieurs bêtes perdent des années de travail, de sélection génétique, d’histoire humaine parfois (une lignée sélectionnée par le grand-père par exemple). Penser qu’ils ne perdent que quelques animaux parmi d’autres, et qu’ils sont bien dédommagés et n’auraient de ce fait pas à se plaindre, c’est avoir beaucoup de mépris pour leur métier, et surtout le méconnaître. Lequel d’entre nous accepterait si facilement de voir une partie de son travail détruite du jour au lendemain ? C’est aussi nier les émotions humaines ancestrales, archaïques, liées à la prédation.
Alors on aime les renards et les poules, les loups, les ours, et les éleveurs qui tentent une autre agriculture, et on pense que tout ce petit monde peut finir par arriver à cohabiter (avec de bonnes mesures de protection !), mais on trouve que tout cela n’est pas si simple, qu’il ne faut caricaturer ni dans un sens, ni dans l’autre, mais comprendre la complexité des enjeux, qui sont bien loin de n’être que financiers.
En attendant, dans le jardin, les moineaux, verdiers et autres pinsons qui raflaient allègrement un bon tiers de la nourriture distribuée ne vont plus être à la fête. Par contre, les escargots, vermisseaux et autres colimaçons doivent être en train de faire la nouba. Maître Renard vient de les débarrasser de quatre terribles chasseuses, les poules. Ces redoutables prédatrices sont mortes prédatées, la boucle est bouclée.
Paix à leur crête.