Chevaux et cavaliers de Mongolie
Pour qui est cavalier et aime les chevaux de caractère, se rendre en Mongolie est comme l’aboutissement d’une longue quête. Là-bas vit l’une des races les plus emblématiques d’Asie, et des plus importantes du monde équestre, le cheval mongol. Et une nation entière de cavaliers.
Demandez à un Mongol s’il est cavalier. Vous verrez un sourcil surpris se lever légèrement. Quelle question ! Bien sûr qu’il est cavalier ! Il ajoutera même, une fois sur deux : très bon cavalier. Sans fausse humilité ni fanfaronnades. S’il le dit, c’est certainement vrai. Les Mongols sont bouddhistes. C’est un peuple aux valeurs simples, droites, qui va à l’essentiel. Des sages du quotidien, souvent souriants, avec de ces regards qu’on ne croise plus si souvent dans l’Occident stressé, porteurs d’une sérénité et d’une vraie attention à l’autre.
Un peuple d’éleveurs
Bouddhistes peut-être, mais pas complètement détachés des passions terrestres… Car les Mongols ont une passion dévorante. Les chevaux. Une nation entière de cavaliers, d’éleveurs, d’entraîneurs, de buveurs de lait de jument, et plus de 2 millions de chevaux. Et quels chevaux !
Ils ont marqué l’histoire du monde, sous la selle de Gengis Khan. C’est grâce à leur endurance à toute épreuve que le conquérant mongol a pu, au XIIe siècle, grâce à ses infatigables cavaliers, établir le plus vaste empire que la Terre ait jamais porté.
Mongol se rendant à sa yourte, dans la montagne. Les cavaliers montent souvent à cru, en simple licol.
Pour sûr, ce n’est pas avec nos selles français – aussi haut qu’ils puissent sauter - que Gengis Khan aurait pu conquérir la moitié du monde, qu’il vente ou qu’il neige.
Car le froid, le cheval mongol n’en a cure. Il essuie des hivers à moins 40 degrés. Et la sélection naturelle est implacable : les poulinières qui ne sont pas assez résistantes avortent. Les Mongols ne complémentent pas leurs chevaux durant l’hiver glacial. Ils se débrouillent seuls, comme depuis la nuit des temps.
Un éleveur de chevaux de course mongol serait sans doute abasourdi de se promener en hiver en France, et de voir une bonne partie de nos grands dadais de chevaux emmitouflés jusqu’aux oreilles de couvertures à pois roses par des cavalières anxieuses, par des températures qui, en Mongolie, correspondraient à un temps hivernal clément. Étonné aussi de voir ces mêmes chevaux se goinfrer de carottes, de pommes et de céréales que les Mongols considèreraient bien plus appropriés à un repas humain. Ne parlons même pas des bonbons pour chevaux… Notre Mongol nous jetterait sans doute un petit regard en biais. Il ne dirait rien parce qu’il est poli. Mais n’en penserait pas moins.
Entraîneur et éleveur mongol, attendant l'arrivée d'une course.
ll existe cependant un endroit de France où notre Mongol ne serait pas trop dépaysé. En Camargue. D’abord, parce que les Mongols trouvent que le cheval camargue ressemble à s’y méprendre à leurs chevaux. Ce n’est sans doute pas un hasard si d’anciennes théories ont avancé que les camargues trouveraient une partie de leurs origines chez les chevaux mongols. Ils ont en commun une grosse tête et une sacrée rusticité. Ensuite, parce que si les Mongols adorent les courses de chevaux, ils connaissent également parfaitement l’équitation de travail. Il faut les voir, au soleil couchant, rassembler les chèvres et les moutons à cheval.
Les Mongols sont un peu loin pour participer aux épreuves d'équitation de travail... Dommage !
Des chevaux libres
Les chevaux mongols ne se laissent pas caresser. On n’a pas élevé les cochons ensemble. Pas du genre à se laisser acheter par quelque humain que ce soit. Quand on demande pourquoi aux Mongols, ils ont un peu de mal à comprendre notre interrogation. Passer son temps à cajoler les chevaux, ça encore, ce n’est pas vraiment dans les mœurs. « Mais… parce que ce sont des animaux farouches », répondent-ils. « Ils vivent en liberté ». « Et nous en avons tellement ». Il n’est pas rare qu’un cavalier possède une dizaine de montures, si ce n’est plus. Pourquoi possédez-vous autant de chevaux ? Pour la viande ? Pas vraiment. Les Mongols mangent du cheval, à l’occasion, mais leur viande de base reste le mouton, le bœuf. Pour les courses ? Pas toujours. Pour le lait de jument alors, qui permet de faire l’araïk, la boisson nationale ? Oui, mais pas que. Alors pourquoi ? Une seule réponse revient, inlassablement, comme une évidence : « Pour le plaisir ».
Il arrive que les Mongols gardent des chevaux jusqu’à une trentaine d’années, quand ce cheval a eu une place particulière dans la famille, une histoire à part, quand il a initié tous les enfants à l’équitation. Mais en règle générale, les chevaux sont tués quand ils vieillissent, et les plus faibles meurent lors d’hivers trop rigoureux. Les nomades mongols ne sont pas riches. Et si leur rapport aux chevaux est passionné, il n’est pas affectif.
Mais qui respecte le plus le cheval ? Celui qui le monte à la rude, qui le fait galoper à bout de souffle dans la steppe, mais qui le laisse vivre toute sa vie dans des plaines immenses, dans de vastes troupeaux, parmi les siens ? Qui le laisse rester pour toujours un animal « farouche et libre » ? Ou celui qui le chouchoute comme un enfant mais l’enferme dans un box à longueur de journée et lui prend la tête dans des manèges sans horizon ? Nous n’avons vu aucun cheval tiquer en Mongolie. Aucun cheval au regard fou. Ils n’ont pas de foin l’hiver, pas de bonnet sur la tête, pas de caresses, pas de bonbons, mais ils sont libres. Et à les voir trotter à l’horizon, se baigner dans les lacs, se rouler dans la poussière... il semble que cette liberté-là n’a pas de prix.