La dernière des Bazougers
La race bovine de Bazougers est la prochaine vache à d’éteindre en France… Dans l’indifférence générale, cette excellente race tire sa révérence. Histoire d’une disparition.
La race de Bazougers, appelée aussi Bleue de Bazougers, est originaire du département de la Mayenne. Bazougers est une bourgade située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Laval. Même si on rencontrait cette vache un peu au-delà, dans le sud du département et dans la Maine-et-Loire voisin, son aire de répartition n’a jamais été bien large.
Du sang suisse
Cette race est proche de la Rouge des Prés (ex-Maine-Anjou, ex-Durham-Mancelle) et de la Saosnoise dont elle partage en effet quelques ancêtres. Dont la fameuse Durham, qui fit les beaux jours de l’agriculture françaises dans le seconde moitié du XIXe siècle et qui a contribué à l’émergence de ces trois races.
La Bazougers est issue d’un croisement entre l’ancienne Mancelle (aujourd’hui disparue) et la race Fribourgeoise (également disparue…), de couleur pie-noir, qui fut importée vers la fin du XVIIIe siècle par Monsieur de la Lorie et quelques autres propriétaires. Des croisements ponctuels sont effectués avec d’autres races (Brune, peut-être Normande), mais sans conséquence. C’est avec la Durham, donc, que les animaux sont croisés au cours du XIXe siècle. Ce qui explique, comme le souligne Laurent Avon (2008), que la Bazougers est issue, des mêmes « composantes » que la Maine-Anjou, la Mancelle et la Saosnoise, mais en proportions différentes.
C’est donc ce type d’animaux, que l’on considérait parfois comme une variété noire de la Mancelle, que l’on va appeler plus tard « Bazougers ».

Bœuf vraisemblablement de type « Bazougers », 1851.

Taureau Bazougers, vers 1938 (coll. L. Reveleau).

Taureau Bazougers, vers 1947 (coll. L. Reveleau).
Un bel animal… mais rare
La Bazougers est une vache de bonne taille, bien conformée, rappelant ses deux cousines. Elle est longiligne et basse sur pattes, avec un profil dorsal rectiligne. C’est avant tout une race mixte, à la fois laitière, mais aussi à vocation bouchère, plutôt précoce. Elle possède des muqueuses noires, et des cornes courtes, dirigées vers l’avant et légèrement remontées vers le haut à leur extrémité.
La robe est de couleur variable. On peut même dire qu’elle n’est pas fixée jusque vers le milieu du XIXe siècle. C’est au cours du siècle suivant que se met en place plusieurs types de robe : noire, pie-noir, blanche ou encore « bleue » qui lui vaut dont son nom de « Bleue de Bazougers ». Cette dernière robe est sans doute le fruit du croisement avec la Durham. Les animaux ont parfois des « lunettes » claires autour des yeux comme en avait la race Mancelle.

Vache pie-noir, 1987 (L. Avon)

Vache Aurore, de couleur « bleue ».
Il n’y a jamais eu beaucoup d’animaux de Bazougers. Cela tient notamment au fait que la race ne soit pas vraiment sortie de son berceau d’origine. De plus, elle n’a pas eu de reconnaissance officielle (ni Herd-book, ni code race).Combien y a-t-il eu d’animaux ? On l’ignore…

Taureau Melchior de couleur « bleue » à 4 ans et demi, 2000 (fonds URCO).
Une disparition inéxorable
Non reconnue, mais survivant sur ses terres d’origine, la Bazougers va être victime, dans les années 1950 – et alors même qu’elle connait là probablement son apogée - de la politique « Quittet » du nom d’un ingénieur général de l’agriculture qui a décidé de faire la guerre à toutes ces petites races locales et rustiques, au prétexte qu’il ne doit plus y avoir que quelques races laitières et allaitantes sur les terres de France. Elle est alors interdite de monte publique et, par là même d’insémination artificielle. De plus, elle est concurrencée par la Maine-Anjou (future Rouge des Prés) qui lui est préférée. Dès les années 1960, elle décline rapidement.
C’est en 1976 que Laurent Avon est alerté de la présence d’un troupeau de vaches Bazougers dans la commune du même nom. Cependant, on est alors dans cette période cruciale où l’on doit être sur tous les fronts, tant le nombre de races rustiques sont menacées. Et comme la Bazougers n’est pas reconnue en tant que race, elle ne figure peut-être pas non plus dans les urgences. Ce n’est qu’en 1999 que l’ingénieur de l’Institut de l’élevage peut de nouveau se consacrer à cette population bovine. Un taureau – Melchior – est retrouvé et sa semence collectée. Une vache « bleue »– Aurore - est également repérée pour ses qualités, mais on ne peut la faire reproduire. La veille de sa mort, en décembre 2000 alors qu’elle a 17 ans, des scientifiques de l’INRA lui prélèvent des cellules de l’oreille et procèdent ensuite, en 2001, à des essais de clonage. Un des embryons clonés et transplantés donne naissance à une génisse en janvier 2002. C’est Aurore B.

Vache Aurore B en 2009. La dernière vache Bazougers en vie.

Aurore B et son fils Augure de couleur blanche (Ch. Richard).
Inséminée avec la semence de Melchior, Aurore B donnera naissance à deux taureaux – Augure et Bazougers–également collectés. Elle a aussi donné naissance à une femelle – Aurifère (décédée en 2008). Un autre taureau – Valeureux – est né de Melchior et d’une vache pie-noir, un peu imprégnée de Rouge des prés, mais issue de race Bazougers. Ce taureau a été également collecté.

Bazougers, l’autre fils (bleu) d’Aurore B (Ch. Richard).

Valeureux, taureau pie-noir (L. Avon).

Vache pie-noir (Ferme de l’Arche).
Et maintenant, un espoir ?
Que reste-t-il de la race Bazougers ? Une vache issue de clone (Aurore B, qui vivait toujours en 2011 à la station de l’INRA de Bressonvilliers, Essonne), des semences de deux taureaux (Melchior et Valeureux – les deux autres n’étant pas utilisables car fils d’une vache issue de clonage). Enfin 18 embryons congelés issus d’Aurore B, donc également de clone… Il y aussi des vaches issues de croisement entre Bazougers (un des taureaux issus de clone) et des Holstein, à la station de Bressonvilliers (mais essentiellement à des fins de recherche scientifique). C’est-à-dire rien ou presque. Il y a donc une seule vache encore en vie qui soit de race Bazougers (mais elle est issue de clone, donc on ne peut l’utiliser).

Génisse croisée entre Bazougers et Holstein.
Cependant, en septembre 2011 est née une génisse – Guiness – issue de Melchior (le taureau Bazougers prélevé) et d’une vache Rouge des prés. La robe est pie-noir comme l’était celle d’un certain nombre de vaches de race Bazougers.
Est-ce un espoir ? Il y aurait sans doute la possibilité de développer une population de type « Bazougers – Rouge des prés » avec des taureaux pie-noir, génétiquement assez proches de Melchior. Il faudrait utiliser des vaches Rouge des prés de type mixte, mais celui-ci a disparu et il ne reste que quelques rares doses de semences de taureaux de ce type.
C’est peut-être une course contre la montre qui se joue à présent. Peut-être que cela ne mènera à rien… Mais faut-il pour autant ne rien faire et se lamenter sur une race domestique qui disparaît ? Nous ne le croyons pas et nous ne pouvons qu’encourager, par toutes les formes concrètes possibles, les quelques personnes qui sont prêtes aujourd’hui à tenter un sauvetage de la dernière chance.

Guiness, née en septembre 2011. Le symbole du dernier espoir ? (J-Ch. Huet).
Remerciements
Merci à Jérôme Aubert, Laurent Avon, Jean-Christophe Huet et Christophe Richard pour les informations qu’ils ont eu la gentillesse de fournir.
Bibliographie
- Avon L.(2008a). La race bovine de Bazougers. Fiche technique, Institut de l'Elevage, Paris.
- Dubois Ph. J. (2011). A nos vaches. Inventaire des races bovines disparues et menacées de France. Delachaux & Niestlé, Paris.