La vache Bretonne pie-noir en a vu de toutes les couleurs
La race bovine Bretonne pie-noir est une figure emblématique de la biodiversité domestique de cette région : petit format, belles cornes en lyre et robe blanche et noire – gwenn ha du – aux panachures régulières. Mais il n’en a pas toujours été ainsi…
Jusqu’au début du XXe siècle, lorsque l’on regarde des photos de cette époque, on note, dans les troupeaux de vaches Bretonnes pie-noir, des animaux qui, visiblement, n’ont pas la robe actuelle, noire et blanche. Celle-ci est définie en même temps que la création du herd-book de la race en 1884, comme étant noire et blanc, le noir et le blanc également répartis, avec une « écharpe » blanche descendant au niveau des épaules et une « ceinture » au niveau des hanches. Le ventre et les membres sont également blancs, tandis que la tête est noire avec une « étoile » blanche au front. Voilà pour la définition.

Vache Bretonne pie-noir parfaitement dans le standard avec son « écharpe » et sa « ceinture »
blanches sur les épaules et les hanches, encadrant une large tache noire (années 1930).
Sur le terrain, au tournant du XXe siècle, la réalité est un peu différente. Si la Bretonne pie-noir est bel et bien reconnue, il existe une autre race, la Bretonne pie-rouge, appelée également Pie-rouge de Carhaix ou Carhaisienne, de taille un peu supérieure à la Pie-noir, mais avec la robe rouge (plus ou moins foncée) et blanche, et une (plutôt) égale répartition des coloris. Cette race, très proche de la Pie-noir, a disparu après la Seconde guerre mondiale, après s’être fondue, en grande partie, dans l’actuelle race Armoricaine, par croisement avec la Durham (aujourd’hui Shorthorn) et, secondairement avec des animaux qui donneront plus tard la Froment du Léon. La Bretonne pie-noir se rencontre alors plutôt au sud d’une ligne reliant Crozon à Rennes, tandis que la Bretonne pie-rouge se rencontre au nord de cette ligne.

Vache de race Bretonne pie-rouge (Finistère vers 1917).
Une grande diversité
Si la robe pie à panachure large et régulière est la norme, on trouve toutefois une grande variété de motifs. Ainsi la panachure irrégulière n’est pas rare au début du XXe siècle. Les animaux peuvent avoir une robe « fleurie » - où se côtoient de grandes taches avec une multitude de petites taches dispersées sur la robe. De même, certaines robes sont totalement constituées de petites taches et réalisent alors une panachure complètement irrégulière. D’autres sont presque rouan (mélange de poils roux et blanc), signant sans doute là une influence de la race durham.
De rares sujets possèdent des flancs colorés de type « bregnié » (c’est-à-dire une large tache latérale continue). Wernert (1896) signale une grande diversité de robes, avec aussi des animaux totalement noirs, rouges ou fauves mais aussi complètement blancs. Des animaux sont également pie-gris (ou pie-étourneau), notamment dans la région de Quimper, et autour de Rennes, mais dans ce dernier cas, il s’agit de bovins croisés avec la Durham (et peut-être la Normande). On est donc bien loin de l’uniformité de la robe pie-noir !

Bœuf Breton pie-noir, à la robe largement noire (Loire-Atlantique, 1857).

Vache Bretonne pie-noir allaitante à robe majoritairement noire
(élevage André, Pédernec, Côtes d’Armor, 2010).

Taureau Breton pie-noir montrant une robe majoritairement blanche
avec des panachures noires irrégulières (Finistère, 1855).
Vache Bretonne pie-noir laitière à robe majoritairement blanche et panachures noires régulières
(élevage des Sept Chemins, Loire-Atlantique, 2012).

Vache Bretonne pie-noir à robe à panachures irrégulières et sans « écharpe » ni « ceinture » (1858).

Autre exemple de Vache Bretonne pie-noir à panachures irrégulières.
Beaucoup d’animaux sont de ce type au début du XXe siècle dans le Morbihan.

Vache Bretonne pie-noir à robe largement noire et sans « étoile » blanche au front (Ille-et-Vilaine, 1855).

Vaches Bretonnes pie-noir du début du XXe siècle.
Remarquer les grandes cornes en lyre et en croissant pour celle de droite.
Robes variées : une ou plusieurs races ?
On a fait des Bretonnes pie-noir et pie-rouge deux races distinctes. Mais il faut reconnaître qu’hormis la couleur de la robe et une conformation un peu supérieure chez la Pie-rouge, les animaux se ressemblaient beaucoup. Certains auteurs, comme de Lapparent (1917) s’interrogeaient déjà sur le fait de savoir s’il ne s’agissait peut-être pas d’une simple variété. Mais la Pie-rouge a été exclue de la race Pie-noir au moment de la création du livre généalogique de cette dernière. C’est pourquoi son propre herd-book a été fondé en 1910. Tandis que la Pie-noir résiste bien aux croisements, notamment avec la Durham, la Pie-rouge, du fait d’une proximité de robe, sera préférentiellement choisie pour ce type de croisement.
Les animaux au pelage uni noir ou fauve ont fait l’objet d’une étude récente (Dubois et Avon 2011). On les rencontrait surtout dans le nord des Côtes d’Armor. Il est probable qu’il s’agisse de ce que l’on appelait localement la « Brune de Guingamp » et qui était une variété (une race ?) proche de la Canadienne actuelle, mais également de la Froment du Léon.

Vaches de type « Brune de Guingamp » à robe uniformément noire (fauve foncé)
(Saint-Brieuc, côtes d’Armor, 1907).
De même, des vaches à robe rouge et tête blanche avec des « lunettes » aux yeux, vivants dans le nord de la Bretagne, sont-elles aussi des animaux représentant peut-être les vestiges occidentaux de l’ancienne race Mancelle, aujourd’hui disparue (Dubois et Avon, op. cit.).
Il faut noter enfin que l’on remarque également des animaux à la robe quasiment ou totalement blanche. Que sont ces animaux et que représentent-ils ?

Vaches à robe uniformément blanche. Sont-elles croisées et si oui avec quelle autre race ?
(Plestin-les-Grèves, Côtes d’Armor, années 1920).

Cet agriculteur possède une vache noire et une vache blanche – gwenn ha du. De quelle race sont-elles ?
(Primel, Finistère, début du XXe siècle).
Croisement ou race pure ?
La grande diversité de patrons de robes évoquée précédemment pose la question suivante : s’agit-il d’une variation ancienne au sein de la race Bretonne pie-noir ou bien cette diversité est-elle le résultat de croisements effectués dans la seconde moitié du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle ?
Si l’on s’en tient à Wernert (1896), on rencontrait donc en Bretagne des animaux sous une variété importante de robes et pas seulement pie-noir avec des panachures régulières. En revanche des auteurs comme Diffloth (1905) évoquent des croisements entre Bretonne pie-noir (et pie-rouge) et d’autres races. Il cite notamment des croisements Breton x Jersiais et Breton x Normand dans le nord de la Bretagne et ce de façon régulière. De même, remarque-t-il le manque d’homogénéité des animaux dans les foires de Quimper ou de Quimperlé ; hétérogénéité que l’on décèle d’ailleurs bien sur les photos anciennes. Le croisement Breton x Durham semble, selon lui, être aussi régulièrement pratiqué aussi bien dans le nord que dans le sud de la Bretagne, de même que les croisements Breton x Durham x Jersiais. Cependant la vache Jersiaise était une « vache de riche » et il est assez curieux que les petits éleveurs aient eu les moyens de s’offrir un animal qui coûtait cher. Enfin des essais de croisements Breton x Ayrshire (race écossaise) et Breton x Ayrshire x Durham ont été effectués à la fin du XIXe siècle, mais ils semblent être restés limités autour de la ferme de Grand-Jouan, Loire-Atlantique, sous l’impulsion de M. Rieffel (de Dampierre 1851).

Bœufs au marché de Pontivy, Morbihan (début du XXe siècle).
L’animal au premier plan, sans doute Pie-rouge, présente une robe à panachures irrégulières,
rappelant un peu la Durham.

Troupeau de vaches près d’Auray, Morbihan, début du XXe siècle.
On note la grande hétérogénéité des robes avec des animaux pie-rouge et d’autre pie-noir.
Alors une seule et même race ou influence d’autres races sous l’effet du croisement ?
Il est clair que dans le nord, mais aussi le centre de la Bretagne, le bétail a montré une hétérogénéité de robes jusqu’au début du XXe siècle. Cela tient au fait qu’il y avait plusieurs races ou variétés qui coexistaient mais aussi parce qu’il y a eu des croisements, notamment avec la Durham, croisement qui ont été précocement condamnés (Douglas 1867).

Vache peut-être croisée Bretonne x Durham. Elle a une conformation et la forme des cornes
qui rappelle cette dernière race. La tête est entière sombre, sans « étoile » au front
(Larmor-Baden, Morbihan, début du XXe siècle).
En revanche, le sud de la Bretagne (sud du Finistère, Morbihan), aurait été davantage tenu à l’écart de ces croisements (Quéméré 2006). Pourtant, l’examen de photos du début du XXe siècle montre que dans cette partie de Bretagne également, les robes peuvent être parfois très hétérogènes. Alors influence de croisements ou variation ancienne de robes chez la Bretonne pie-noir ? Le mystère reste, pour le moment entier.
Ce que l’on sait aujourd’hui c’est qu’en race Bretonne pie-noir, il y a encore une variation naturelle de robes. Ainsi environ 1% de veaux naissent « pie-rouge ». Il existe également une forme pie-grise (glazig) chez cette race, couleur de robe autrefois très recherchée ! De même certains animaux montrent des teintes rousses dans le noir de leur robe.

Vache Bretonne de couleur pie-gris, peinte J-R. Brascassat (vers 1850).

Taureau Breton pie-noir de couleur grise ou bleue dite glazig
(élevage André, Pédernec, Côtes d’Armor, 2010).

Vache Bretonne pie-noir présentant une teinte gris-roussâtre
(Salon de l’agriculture, 2011, animal originaire du Morbihan).
Vache Bretonne pie-noir (souche Dahiez) avec une teinte brun-gris.
A noter le pourtour du mufle blanc, comme l’avait parfois les vaches de cette race au début du XXe siècle
(élevage Le Ho, Saint-Michel-et-Chanveaux, Maine-et-Loire, 2012).

Vache Bretonne pie-noir type « pie-rouge » (1% du cheptel), Bretonne pie-rouge ou croisé.
Difficile de se prononcer car l’animal a été photographié au début des années 1960,
lorsqu’il devait encore rester quelques Bretonnes pie-rouge (Tronoën, Finistère, photo J. Dubois).
Vache Bretonne pie-noir de type « pie-rouge » (souche Dahiez).
A noter que l’animal à quelques bringeures
(élevage Le Ho, Saint-Michel-et-Chanveaux, Maine-et-Loire, 2012).
Veau Breton pie-noir de type « pie-rouge » (souche Dahiez)
(élevage Le Ho, Saint-Michel-et-Chanveaux, Maine-et-Loire, 2012).
Références
de Lapparent E. (1851). Races bovines de Bretagne, de salers, d’Aubrac et du Limousin. Journal d'Agriculture pratique 1851 : 5-9 (3eS, Tome III).
de Lapparent H. (1917). La race bovine bretonne pie-rouge. Journal d'Agriculture pratique 1917 : 122-123.
Douglas J.-C. (1867). Sur le croisement de la race bovine de la Basse Bretagne. Journal de l'Agriculture 1867/4 : 800-803.
Dubois Ph. J. et Avon L. (2011). Sur l’existence possible de populations bovines bretonnes oubliées. Ethnozootechnie 90 : 81-88.
Quéméré P. (2006). La Bretonne Pie Noir - Grandeur - Décadence – Renouveau. Editions France Agricole, 192 p.
Wernert A. (1896). Les vaches de race bretonne - les bœufs bretons : étude pratique. Imprimerie A. Michel, Paris.