La vache Picarde : race ou population bovine ?

Publié le par lesbiodiversitaires

Coincée entre deux grandes races laitières, la Picarde est une vache qui a su résister à ses grandes voisines jusqu’aux abords de la Seconde guerre mondiale. Ensuite, et comme beaucoup d’autres, elle a disparu, emportant avec elle ses mystères…
 
Jusqu’au milieu du XXe siècle, le nord de la France est peuplé principalement par la race Flamande, considérée alors comme la meilleure laitière. Cette race, dont le berceau se situe autour de Bergues, Cassel et Hazebrouck, Nord. C’est la vache de la région des moëres et de wateringues de la Flandre maritime et de la Flandre intérieure. On la rencontre aussi dans le Pas-de-Calais et dans une bonne partie de la Picardie.
 
Une race, plusieurs populations
Autrefois cette grande race laitière était subdivisée en plusieurs populations, très semblables et qui n’avaient de différent que le nom qu’on leur donnait dans telle ou telle région. Ainsi, distingue-t-on au XIXe siècle les variétés Berguenarde, Casseloise et Bailleuloise qui ne sont en fait que des synonymes de la Flamande dite « originelle ». Elles forment le « noyau dur » de la race.
 
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Type de vache Flamande « originelle », années 1920.
 
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Type de vache Flamande actuelle. L’immense majorité des animaux ont entre 20 et 30% de sang Rouge danois. On appelle d’ailleurs aujourd’hui la race Rouge flamande.
 
 
Plus on s’éloigne de cet épicentre, plus les animaux ne sont plus tout à fait dans le standard de la Flamande. Ainsi parle-t-on de la Saint-Polaise (ou Saint-Poloise) de la Boulonnaise, de la Namponnaise, de la Bournaisienne, la Guisarde ou encore de l’Artésienne. Nous ne rentrerons pas dans le détail de ces variétés (ou sous-races ou encore populations) dont nous avons parlé dans le livre A nos vaches. Elles sont toutes assez proches de la Flamande « originelle », bien que souvent, moins bien conformées, plus petites, et d’un pelage un peu différent.
Deux populations se distinguent pourtant de la grande sœur flamande. D’une part la Maroillaise, belle vache originaire de la région de Maroilles, et la Picarde qui nous intéresse aujourd’hui.
 
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Type de vache Maroillaise (années 1920).
 
 
La Maroillaise était plus fine, un peu moins laitière mais plus beurrière que la Flamande. Elle a été anéantie par la Première guerre mondiale et remplacée ensuite par la Flamande, la Bleue du Nord et la Hollandaise (l’ancêtre de la Prim’Holstein actuelle).
La plupart de ces variétés ont disparu à l’aube du XXe siècle, fondues dans la race Flamande.
 
 
Picarde : carte d’identité
La Picarde se rencontrait dans la région comprise entre les vallées de l'Oise et de la Somme, de Compiègne à Amiens, de Beauvais à Abbeville. Elle est de taille moins élevée que la Flamande, le dos un peu vouté, les hanches peu saillantes, la cuisse peu musclée, la queue attachée bas. La concavité du profil est plus prononcée. La tête plus grossière. Les cornes sont de taille moyenne, plutôt courtes, dirigées régulièrement en avant et disposées en couronne, jamais en crochets, plus relevées et « ouvertes » que celles de la Flamande.
 
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Type de vache Picarde, dite (déjà) « améliorée ». Somme 1903. La conformation rappelle celle de la flamande. On note la présence de blanc au front et à la base de la joue.
 
C’est la robe qui est intéressante. Elle n’est totalement acajou comme chez la Flamande (à ce propos, cette dernière a longtemps possédé du blanc à la tête, aux ars et au ventre. Ces vaches étaient dites "barrées" et on a cherché à éliminer cette robe dès le début du XXe siècle). La robe est donc en général d’un rouge plus clair, plus ou moins envahie de blanc, pouvant aller jusqu’à un pie-rouge ou un rouge-pie.
Généralement le blanc sur la tête forme une marque frontale assez étendue et deux marques allongées sur les joues. Chez certains animaux, les taches sont formées d'un mélange de poils blancs et rouges inégalement répartis rappelant la robe "fleur de pêcher" de la race Durham. On a donc des animaux qui se distinguent nettement de la Flamande.
 
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Vache Picarde assez caractéristique. Le blanc est visible au front et aux joues (sous formes de marques allongées).La conformation est celle d’une Flamande et non d’une Normande.
 
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ache Picarde au pelage pie(-rouge).La robe est dite « pigaillée » (comme chez la Bordelaise) ou encore en « fleur de pêcher » comme chez la Durham (Shorthorn).
 
 
Comme les autres populations autour de la Flamande, la Picarde est moins bonne laitière que cette dernière.
 
Prise en étau
Si l’aire de répartition de la Picarde est bordée au nord par celle de la Flamande, elle est en contact au sud avec une autre grande race laitière, la Normande. La concurrence est donc rude pour cette population bovine. D’autant que, dès la seconde moitié du XIXe siècle la Normande progresse vers la Picardie et l’Ile-de-France. L’importation de taureaux flamands « purs » est importante au début du XXe  siècle, notamment pour l’amélioration du cheptel picard. Dès les premières décennies de ce nouveau siècle, apparaît également la Hollandaise, si bien que la Picarde se trouve confrontée à non plus 2, mais 3 races concurrentes. Les croisements d’absorption s’accélèrent ; la Picarde diminue rapidement et l’on peut considérer que les animaux de ce type sont devenus très rares à l’aube de la Seconde guerre mondiale. Celle-ci achèvera de la faire disparaître et les derniers animaux picards ont probablement disparu au plus tard dans les années 1950.
Il n’y a jamais eu de recensement particulier de cette population bovine picarde.
 
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Groupe de génisses Picardes. On note l’hétérogénéité du troupeau. L’animal au premier plan à gauche a peut-être du sang « Hollandais », tandis que l’avant-dernier à droite, a une tête dont le motif rappelle celui de la Normande.
 
 
Mais qu’était donc la Picarde ?
Avec sa disparition, la Picarde a emporté avec elle ses secrets. En effet, la littérature zootechnique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est assez ambiguë et souvent paradoxale à son sujet.
Pour certains auteurs, la Picarde s’inscrit dans une sorte de cline au sein d’une seule et même population flamande. La transition est insensible entre cette population et l’Artésienne puis la Berguenarde. Il doit en être d’ailleurs de même avec la Saint-Polaise ou la Boulonnaise.
Pour d’autres, la Picarde serait un type transitionnel entre la Flamande pure et la Normande. Il est vrai que l’on voit, sur d’anciens documents, des animaux qui présentent à la fois des caractéristiques de la Flamande, mais aussi de la Normande, notamment avec une tête courte, épaisse et une conformation générale qui rappelle cette race. De même, il y a une tendance au croisement entre Picarde et Normande vers le nord de Soissons et autour de Laon, dans l’Aisne. Même chose autour de la baie de Somme, mais aussi dans l'Oise. Et sans doute jusqu’aux portes de Paris. D’anciens documents montrent, une fois encore, des animaux de type « Picard » au nord de la capitale et notamment en Seine-et-Marne.
 
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Sur cette carte postale ancienne prise en Seine-et-Marne, on distingue un vache Picarde (à gauche) et un animal sans doute croisé Hollandais, à la robe mouchetée comme certaines Picardes (et la Bordelaise actuelle).
 
 
A un type intermédiaire fixé depuis longtemps entre Normande et Flamande sont peut-être venus s’ajouter, au passage au XXe  siècle, des croisements intentionnels directement entre ces deux races, conduisant à des animaux de première génération, ressemblant peu ou prou à des Picardes. Dans le même temps se sont produits des croisements d’absorption de ces deux races avec la Picarde. Ainsi le type fixé « Picard » s’est-il dilué dans les deux races dominantes.
 
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Au marché aux bestiaux d’Amiens, en 1917, on distingue bien des animaux flamands, des Normands, sans doute une Hollandaise, tandis qu’il est probable que d’autres soient de type « Picard ».
 
   
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la Hollandaise fait une entrée en force dans le nord de la France dès les premières décennies du XXe siècle. C’est elle qui va peu à peu se substituer à la Flamande (et plus tard, en partie, à la Normande). Là encore des croisements se produisent et quelques animaux, sur d’anciennes photographies, laissent à penser qu’il y a eu un métissage complexe entre les 3 races (et aussi avec la Picarde locale).
 
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Les croisements se produisent à grande échelle au début du XXe siècle. Sur cette photo, on voit des Flamandes (ou animaux proches), mais aussi ce qui est sans doute un croisement entre Flamande (Picarde) et Hollandaise (au centre) ainsi qu’un animal visiblement croisé Flamande (Picarde) x Normande (à droite) avec une tête massive, typique de cette dernière race.
 
 
Aujourd’hui la Picarde est reconnue historiquement comme une population locale de la race Flamande. De toutes les variétés connues de cette race, elle était sans nul doute la plus différenciée. C’est aussi celle qui a disparu la dernière. Se serait-elle maintenue qu’elle aurait peut-être pu prétendre au statut de « race ». Mais le destin en a voulu autrement.
 
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Vaches Picardes, Somme, vers 1895.Le type « Picard » se distingue bien de la Flamande « originelle ».
 
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Vache de type « Picard » (fin du XIXe siècle). On retrouve chez tous ces animaux une similitude de conformation et de pelage qui plaide sinon pour le statut de race, du moins pour celui de population bovine bien fixée.
   
 
À quoi ressemblerait la Picarde en 2011 ?
Les photos anciennes nous donnent une idée de ce qu’était la Picarde. Mais ce ne sont que des documents en noir-et-blanc. Voici, ci-dessous quelques photos d’animaux croisés Prim’Holstein et Normand, pas tous de première génération. Elles ressemblent, pour quelques animaux, à ce que devaient être certaines Picardes. On ne reconstitue pas de races disparues, évidemment, puisque leurs gènes disparaissent avec elles, mais on peut parfois, et avec un peu d’imagination, avoir une idée de ce à quoi ressemblaient des animaux disparus.
 
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Comparaison entre une vache Picarde (à droite) et un animal croisé Normand x Holstein actuel (sans doute pas de première génération). Il y a tout de même une certaine similitude !
 
 
Bibliographie
    
- Avon L. (2008). La race bovine Flamande. Fiche technique, Institut de l'Elevage, Paris.
- de Lapparent H. (1914). Etude sur es races bovines. Variétés et croisements de l'espèce bovine en France. Extrait du Bull. mens. De l'Office des Renseignements agricoles,136pp.
- Dechambre  P. (1922). Traité de zootechnie - tome III : les bovins. Ch. Amat, Paris, 634pp.
- Diffloth P. (1908). Races bovines - France et Etranger. Librairie J-B Baillière et fils, Paris.
- Fanica O. (2007). Mutations de l'élevage bovin en Gâtinais et en Brie. Ethnozootechnie 79 : 167-185.
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- Joigneaux P. (1863). Le Livre de la Ferme et des maisons de campagne, tome 1, Agriculture proprement dite - Zootechnie. Librairie Agricole de la Maison Rustique, 1012p.
- Jumel M. (1903). La sous-race picarde de la race bovine flamande. Rapport de zootechnie, Ecole d'agronomie de Grignon, np.
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B
merci pour tous ces détails sur cette race de bovin fascinante et qui reste à étudier encore afin de mieux les gérer
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L
on ne la gèrera plus, hélas, car elle a disparu !