Un rapide séjour sur la côte atlantique du Maroc, autour d’Essaouira, m’a permis de (re)découvrir quelques races locales de ce pays.
Origine débattue
L’origine du bétail marocain reste débattue. Selon certain auteurs, il descendrait d’animaux apportés de Mésopotamie par les Berbères au IIe siècle avant Jésus-Christ. Mais il se peut également qu’il soit plus ancien encore, et qu’il provienne d’animaux ayant évolué au Sahara, eux-mêmes issus d’Aurochs domestiqués. Le bétail brun de l’Atlas dérive donc principalement de bétail d’Afrique ou d’Asie. Plus récemment, il a reçu un apport génétique d’animaux européens et proches-orientaux (Hanotte et al. 2002).
Quoiqu’il en soit, les bovins marocains sont rattachés au bétail à courtes cornes. Ils appartiennent au type Brun d’Afrique du Nord et sont rattachés à la race dite Brune de l’Atlas.
Description générale de la Brune de l’Atlas
Les animaux de race Brune de l'Atlas se rapprochent d'un type subconcave possédant une tête forte, un profil droit et des arcades orbitaires peu saillantes. Les cornes sont en croissant faiblement inclinées vers le haut, avec des extrémités noires. Le tronc présente une poitrine descendue. Le bassin est un peu étriqué. La cuisse est plate. La fesse est mince. Les membres sont fins sans être grêles. Les onglons sont de coloration noire sans trace de blond. La peau est souple et onctueuse. La robe est de coloration fauve foncée, renforcée de noir au niveau de la tête et des membres. Elle est souvent plus claire le long de la ligne du dos, avec le toupillon de la queue noire. Le mufle est entouré d'une bordure de poils blancs (extrait de Races bovines au Maroc, Boujenene 2002).
Jeune taureau Brune de l'Atlas - mars 2011
Les différentes races
En réalité, la Brune de l’Atlas est subdivisé en plusieurs races distinctes qui sont : la Brune de l’Atlas proprement dite, la race Oulmès-Zaër (ou Oulmès-Zear), la Pie-Noir de Meknès et la Tidili. Il s’agit bien là de 4 races locales. A côté de ces races indigènes (les vaches beldi), on trouve des races importées, principalement d’Europe. Il s’agit en premier lieu de la race Holstein, mais aussi de la Montbéliarde, la Fleckvieh et enfin de la Tarentaise. Historiquement, d’autres races ont été importées en Afrique du nord (et au Maroc), comme la Bordelaise par exemple (voir encadré).
Depuis le XIXe siècle, des croisements ont été opérés entre ces races européennes et les races marocaines.
La répartition des bovins marocains est fortement liée aux zones irriguées ou qui possèdent une humidité annuelle correcte, même s’il s’agit de zones semi-arides ou montagneuses. On peut donc citer les régions suivantes : Gharb, Doukkala, Tadla, Haouz, Sous-Massa, Moulouya, Loukkos, Abda, Chaouia, bordures du Rif, Zemmour, Saïs et, pour la montagne Rif, Moyen Atlas, Haut Atlas.
Brune de l’Atlas
La description type de cette race est présentée ci-dessus. C’est une vache mixte mais qui produit assez peu de lait. Elle est en revanche très bien adaptée au milieu sec et aride du pays.
Jeune taureau de race Brune de l'Atlas - mars 2011
Vache de race Brune de l'Atlas - mars 2011 (noter les cornes fortement en couronne).
Oulmès-Zaër (ou Oulmès-Zear)
Son origine est mal connue. Elle est peut-être issue de croisements d’animaux locaux avec des races ibériques importées, mais l’influence de la Brune des Alpes n’est pas non plus exclue.
C’est une race plutôt à vocation bouchère.
Selon Boujenene (2002), les bovins de race Oulmès-Zaër ont une tête assez longue, un front large et convexe, des cornes bien plantées, de grandeur moyenne, de couleur claire à extrémités foncées. Le mufle est assez large et les naseaux, de couleur rose, sont bien ouverts. Le tronc présente une poitrine bien descendue. Le bassin est assez large. Les onglons sont de coloration blonde ou marron.
La couleur de la robe est acajou chez taureau, le froment foncé chez la vache et elle s'éclaircit avec l'âge.
Taureau Oulmès-Zaër
Pie-Noir de Meknès
Elle est d’origine étrangère indéterminée. Pour Boujene (op. cit.), elle est probablement le résultat d’un métissage à partir des animaux importés de la péninsule Ibérique ou bien une variété de la race Brune de l’Atlas (il y aurait dans le bétail de cette dernière des familles de robes pie). Les bovins de cette race ont une tête moyennement courte, à front plutôt haut. Les cornes de couleur noirâtre sont dirigées en avant et légèrement relevées à l'extrémité. La poitrine est très développée surtout chez le taureau. Le bassin est large. Les membres sont assez longs. Les aplombs sont réguliers et les onglons sont de couleur noirâtre. La peau est souple et fine. Les poils sont très noirs ou blancs purs. La robe est pie-noir, le blanc s'étend largement sur la partie inférieure du corps, de l'inter-ars jusqu'à la mamelle. L'écusson et la mamelle sont blancs parsemés de petites pigmentations circulaires noirâtres. La queue est blanche et noire ou complètement blanche. Enfin la croupe présente, sur la médiane, une tâche blanche en forme de losange qui peut s'étendre jusqu'à la base de la queue (Races bovines au Maroc, Boujenene 2002).

Tidili (ou Ouzguitia)
Ella a été identifiée en 1981 dans la région de Ouarzazate. Elle pourrait être juste d’une variante de la race Brune de l’Atlas ayant subi depuis longtemps une sélection pour améliorer sa production laitière qui reste sa spécialité. Elle possède un pis plus développé que cette dernière.
La tête est relativement forte portant des cornes courtes, asymétriques, horizontales et recourbées. La peau est fine et souple. Les membres sont fins avec des onglons noirs. Les naseaux, la vulve, l'anus et la langue sont noirs. La couleur de la robe est variable : la plus fréquente est la brune (68%), suivie de la noire (25%), tandis que les mélanges de couleurs sont rares (7%) (Races bovines au Maroc, Boujenene 2002).
Aptitudes
Les races locales précitées sont caractérisées par une grande rusticité et par des aptitudes exceptionnelles d’adaptation au milieu difficile, dont la résistance à la chaleur et aux amplitudes thermiques, l’aptitude à l’utilisation d’aliments pauvres et la sous-alimentation, la résistance à certaines maladies et la facilité de déplacement en milieu difficile et accidenté.
Evidemment ces races locales sont presque 10 fois moins laitières que les races européennes importées…
Effectifs
Les effectifs de bovins au Maroc sont les suivants selon les statistiques du Ministère de l’Agriculture de 2004 : 1 415 000 têtes pour les races locales, un peu plus de 547 000 têtes pour les races allochtones (européennes) et 765 000 animaux croisés. La race « allochtone » la plus représentée est aujourd’hui la Holstein (85% des effectifs).
La place des animaux dit améliorés (races européennes ou croisés) n’a cessé de croître comme le montrent les deux diagrammes ci-dessous, respectivement de 1975 et 2004.
En cela les races locales marocaines sont en diminution et deviennent menacées, au moins pour celles qui possèdent les effectifs les plus faibles. Leur conservation est tributaire des éleveurs qui continuent à les exploiter, dans des milieux qui, de toute façon, auraient bien du mal à accueillir autre chose que des animaux adaptés à ces conditions le plus souvent arides. Mais même dans ces milieux difficiles, on assiste à une augmentation d’installations en stabulation libre où l’on élève des vaches laitières comme la Holstein.
Troupeau mixte avec animaux de différentes races (probables) :Brune, Oulmès possible, Tidili - mars 2011
Encadré : des Bordelaises au Maroc ?
Du temps où la race Bordelaise était en vogue en France, des exportations d’animaux ont eu lieu vers l’Asie et l’Afrique du Nord (Dubois 2011). On ignore s’il s’agissait de vaches pigaillées ou bayrettes. Ces exportations ont dû avoir lieu entre les deux guerres.
Vache bordelaise importée en Indochine (années 1920)
Qu’en est-il resté ? Sans doute pas grand-chose car les exportations ne devaient pas concerner un grand nombre d’animaux.
J’ai été cependant surpris de voir des animaux assez proches des Bordelaises « bayrettes » lors de mon séjour autour d’Essaouira en mars 2011. Un vieil agriculteur marocain à qui j’en parlais, se souvenait d’animaux « pies » venus du sud de la France. Le lendemain, j’ai croisé sur la route une vache qui ressemblait à s’y méprendre à une « bayrette », possédant même un grand nombre de mouchetures. Je n’ai pu la photographiée… Plus tard, j’ai revu plusieurs animaux pie-rouge ou pie-noir possédant ces fortes mouchetures. Leur conformation montrait des animaux de taille moyenne, sans doute croisés avec des Brunes de l’Atlas ou des animaux déjà croisés avec des races européennes.
Génisse de type "bayrette" (mais du blanc à la tête) - quelle origine
pour ce type d'animaux ? - avril 2011
Rappelons que la race Bordelaise a disparu et que, grâce à quelques animaux croisés retoruvés dans les années 1990, Régis Ribereau-Gayon et son équipe ont entamé un programme de reconstitution de « nouvelles » Bordelaises. Alors, y aurait-il encore des vestiges de cette race au Maroc ? Sachant, par ailleurs, que ce pays a été moins touché qu’en France par les croisements et la perte des races ou populations, et maintient du bétail en endogamie, il serait intéressant de mener une enquête dans cette région au moins pour voir s’il existerait des animaux ayant une origine bordelaise.
Génisse pie-rouge de type "bayrette" - hormis la couleur (pie-rouge), elle ressemble à la Bordelaise (pie-noire) disparue. Est-ce un reliquat de la présence de cette race importée autrefois en Afrique du Nord ?
Bibliographie
Boujenane I. (2002). - Les Races bovines au Maroc. Actes Editions (Rabat), 144 p.
Dubois Ph. J. (2011). – A nos vaches… Inventaire des races bovines disparues et menacées de France. Delachaux & Niestlé. 448p.
Voir également : Vulgarisation agricole. L'élevage bovin et ovin au Maroc.